Nouveaux occupants au n°100 – Episode 3

In Conseils de lecture, Les habitants du n°100 du CDI, Listes
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snc01155Nouvelle pile de livres nouvellement arrivés, la hotte du père Noël semble n’avoir pas de fond, il s’y trouve encore de nouveaux territoires de pensée à explorer. Je poursuis selon le même principe : je présente, vraiment rapidement (parce que, sinon, les piles de copies qui se trouvent juste à côté de mon clavier, et qui me lancent des regards lourds de reproches, vont demeurer encore trop longtemps vierges de toute encre rouge (quoique, en réalité, je ne corrige que rarement en rouge)), chacun des ouvrages qui vont rejoindre, dans les jours qui viennent, dès que nos collègues documentalistes les auront équipés, le rayon 100 du CDI, et les rayons alentours. Cliquez sur la photo de la pile de livres pour la voir dans une taille un peu plus lisible.

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cawjo7vacahzquptcatwam2nca8ptrasca950cjqca83laqhcaas1672canrtzfjcaco7ezhca65009lcaaluqezcakc07bbcaw4ue5qcask0619cab8vea9caaabsufca0sv42kcacl8xv4cak06itgProlégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, Kant (1783). La Critique de la raison pure, qui constitue la pierre angulaire de la pensée de Kant, peut être considérée comme un ouvrage d’accès un peu délicat pour un néophyte (même si on peut tout de même en lire les préfaces, en s’accrochant un peu). Ce plus petit ouvrage constitue pour Kant une tentative d’exposition plus accessible de sa pensée. Or, le coeur du projet de cette première critique, c’est la question fondatrice de toute démarche philosophique : « Que puis je savoir ? » Posée autrement, cette question donne « Qu’est ce qui peut constituer un savoir ? » Il faut dire que, réveillé de son sommeil dogmatique par l’empirisme de Hume, Kant attaque de front une discipline qui peut difficilement s’appuyer sur l’expérience pour fonder ses jugements : la métaphysique. Quelle est la légitimité du discours sur Dieu ? Est on fondé à se prononcer sur l’au-delà, sur la vie éternelle, sur le monde dans sa totalité, sur l’âme ? Les différentes sciences seront abordées pour examiner s’il est envisageable de produire des jugements détachés de tout fondement expérimental (ce que chez Kant on va appeler des « jugements synthétiques a priori »).

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ca526x7ucamaghboca0o8edhca2mdjbicadjmgb7cai7yxgicaj62fivcakx0hd1cadjgho2caz8xyx0caoltcl9can2fp6qcaks2hp2cays6jcbca6w50iyca2ispeycahnxmpocawjompacaay306tLes Ecoles présocratiques, édition coordonnée par Jean-Paul Dumont, 1991. Le problème, avec les présocratiques, c’est qu’étant donné qu’ils gravitent nécessairement autour de la balise temporelle qu’est Socrate (c’est là leur définition), ils semblent ne pas avoir d’existence propre. Ajoutons à cela la fréquente perte des textes dont ils furent les auteurs, l’exotisme de leur nom, quand ce n’est pas de leur pensée, leur relégation en seconde ligue des philosophes par l’histoire, cela fait un nombre déjà suffisant de raisons de ne pas les lire. Pourtant, même incomplets, même amputés de parties entières, même réduits à l’état de fragments, des textes nous sont parvenus, et pour lacunaires qu’ils soient, ils demeurent bel et bien des messages adressés à qui voudrait bien leur prêter attention. Une attention qui n’animait pas Socrate lui-même, pourtant « marque repère dans les rayonnages philosophiques ». Au delà de l’abondante littérature à propos des présocratiques, au delà du commentaire ou de la présentation de leur pensée, qui permet finalement de les connaître « par procuration », cet ouvrage propose, tout simplement, de les lire. Classés selon leur époque et leur situation géographique (car il y a en ces temps là un véritable régionalisme de la pensée, on se spécialise localement dans telle trajectoire intellectuelle, telle doctrine ou tel objet d’étude), ces textes sont livrés tels qu’ils nous sont parvenus. Ce sont souvent des bribes, qui donnent envie d’en lire plus. Seule la compagnie de ces textes permet en quelque sorte d’en saisir le mouvement, et libre à soi d’entrer dans ce déplacement de la pensée, de le faire sien pour reconstituer ces messages dans leur totalité.

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caimlao0cazsjapxca990yyscak59nz1caalutkfcarrvlvccakng3w0ca0mcrzbcappfyedcatd3qmkcalfwckycaiofpbgcamy1ep3cazavajicavf9mn7ca55z14icahvkibdca153s0lca6usd4oLa Condition de l’homme moderne, Hannah Arendt (1958, trad. française : 1961). Voici Hannah Arendt de nouveau aux côté de Gunther Anders, dont elle partagea un temps la vie. Le premier chapitre de ce livre faisait déjà partie de la précédente commande. C’est ici l’ouvrage dans sa totalité, mais moins commenté, qui intègre les rayons du CDI. Pour le reste, je reproduis la notice précédente : De l’antiquité à l’époque contemporaine, c’est un renversement qui s’opère dans le domaine de l’activité humaine : nous valorisons aujourd’hui la vie active à laquelle l’antiquité préférait la vie contemplative. Mais plus précisément, dans la vie active, ce qui nous intéresse, c’est la production de biens marchands, là où nos prédécesseurs considéraient, eux, la production comme la plus basse des activités, inférieure à l’art et à l’action politique. Renversement parallèle, nous passons de la politique à l’économie, de la poursuite de la vie heureuse à la recherche de la rentabilité. En terme de civilisation, c’est comme si soudainement l’Europe reniait ses propres fondations. Voila le processus qu’analyse Hannah Arendt dans ce livre désormais classique, idéal compagnon de celui qui veut méditer le sort qui est maintenant le nôtre : avoir comme but “dans la vie”, de travailler. Une lecture d’autant plus conseillée quand nombreux sont ceux qui se voient fermer cette perspective.

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images3Le paradoxe sur le comédien, Diderot (rédigé entre 1773 et 1777, publié à titre posthume en 1830) Il serait dommage de présenter la lettre à d’Alembert de Rousseau sans la confronter à l’autre versant de la pensée esthétique de ce temps là, cet ouvrage que Diderot rédigea alors que l’amitié entre lui et Rousseau a pris brutalement fin (les deux hommes de communiqueront plus que par livres interposés, exprimant le désarroi d’avoir laissé perdre une telle amitié). Rousseau compte alors Diderot parmi ses ennemis. Intellectuellement, il y a effectivement dans ce livre une offensive contre la manière dont Rousseau conçoit l’art. Or, dans la mesure où on adhère un peu facilement, et peut être un peu gentiment, à la thèse rousseauiste, il est intéressant de la mettre à l’épreuve des objections. Des objections, il en pleut sous la plume de Diderot, qui va s’ingénier à soutenir un art dont l’essence même est l’artificialité, multipliant les exemples dans cette pratique singulière qu’est le travail du comédien : fait il semblant, ou bien vit il ce que son personnage vit ? S’agit il d’un artifice ? Ou d’une nature ? Est il schizophrène ou transformiste ? La question se pose encore aujourd’hui lorsqu’on oppose un réalisme parfois documentaire à l’artificialité technique. Et même si le problème plonge ses racine jusque chez Platon, chez qui le principe de représentation fait déjà l’objet d’une critique en règle, il y a entre le paradoxe sur le comédien et la lettre à d’Alembert une tension qui permet à ceux qui auront pris la peine de lire l’un et l’autre, de poser de manière nette l’un des problèmes les plus essentiels en matière d’esthétique. On précisera que le comédien Fabrice Luchini donna à Avignon, lors du festival, donna une lecture du texte de Diderot, qui a le malin talent de mettre en oeuvre l’artificialité invisible, mais présente, dont le texte fait l’apologie. En énième cadeau de Noël, en voici l’enregistrement audio :

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