On sous-estime un peu trop la publicité. Pourtant, de nombreux grands cinéastes y ont fait leurs armes et y trouvent parfois un espace de liberté. On se souvient que Charlie Chaplin ne voyait pas d’un bon oeil la transformation du septième art en industrie du divertissement, au point d’en faire le propos de son chef d’œuvre, Les Temps modernes ; et on se dit avec le recul historique dont nous disposons qu’il aurait peut-être pu continuer à tourner librement s’il l’avait fait pour des formats courts, comme il le faisait originellement pour la télévision ou, comme le font certains réalisateurs et certaines réalisatrices aujourd’hui, pour le monde publicitaire.
Depuis 2017, Katia Lewkowicz fait partie de ces cinéastes qui mettent autant de soin à réaliser des micro-films qu’à tourner des longs métrages. Et à vrai dire, si elle excelle dans les formats extrêmement courts, elle est suffisamment convaincante pour obtenir de la marque pour laquelle elle travaille des spots qui se développent sur trois minutes ce qui, dans le monde du marketing, est en fait extrêmement long. Mais quand il s’agit de résumer des pans entiers d’existences, il est parfois nécessaire de construire le récit sur la longueur, histoire qu’il ait du sens et que le spectateur s’imprègne suffisamment de cette vie pour qu’il en vienne à se demande si sur l’écran, là, ça ne serait pas un peu sa propre vie qui défile.
Ce qui suit fait la promotion des magasins Intermarché. Il est rarissime qu’on fasse ici de la publicité, c’est même le principe de ce blog d’en être totalement dénué. Mais ici la marque passe presque au second plan et la véritable raison pour laquelle on va proposer ci-dessous une compilation de microfilms publicitaires, c’est parce que tous, d’une façon ou d’une autre, mettent le repas au centre des liens qui rassemblent les êtres humains qui vivent, travaillent ou aiment ensemble, et parfois ne s’aiment plus ou même, ne vivent plus. Ce qu’on découvre dans les films de Katia Lewkowicz, c’est qu’on ne cuisine jamais seul, même quand on mange en solitaire : les recettes sont des chaines de transmission qui permettent d’inviter les inconnus quand ils ne s’invitent pas d’eux-mêmes, de rendre présents les absents, de se sentir proche de ceux qui ne nous ont pas encore clairement approchés, et de ceux qui nous ont quittés aussi, qu’ils soient encore de ce monde ou qu’ils l’aient déserté pour nous laisser nous débrouiller seuls avec la vie. La nourriture est faite pour être mise en commun, au point qu’on ne puisse pas vraiment la garder tout à fait pour soi, y compris quand on n’a pas vraiment l’intention de partager.
Si on devait classer ces microfilms en trois catégories, on pourrait tout d’abord s’intéresser à la façon dont le repas nourrit la relation amoureuse, puis la façon dont les enfants sont parfois ceux qui, au sein de la famille entière ou en pièces, comprennent ce qui se joue vraiment et régulent leur petit monde autour d’une casserole de coquillettes ou d’un sandwich, enfin, on observera comment le repas entre collègues, ou sur le lieu de travail est mis en scène de façon à faire naître une communauté partageant des moments forts. De façon synthétique, on verra que finalement, le repas mis en scène par Katia Lewkowicz est une alternative au langage oral, le moyen pour ceux qui ont des choses à se dire sans pouvoir les dire de partager quand même ce qui parfois est tellement important et fort que les mots eux-mêmes sont incapables de le dire.
L’Amour
Commençons donc par L’Amour puisque c’est le titre du tout premier film de la série, qui met en scène la séduction naissante entre un jeune homme et une jeune femme. Lui, parce qu’il fait ses courses dans la magasin dont elle tient la caisse, prend peu à peu conscience que s’il veut se rapprocher d’elle, il va falloir faire preuve d’un peu plus de maturité gastronomique, afin de témoigner d’un certain style de vie qui donne un peu plus envie de le partager. Evidemment, le film s’appuie sur des stéréotypes de genre (les garçons mangent n’importe quoi, et les filles ont un goût évident pour ce qui est sain), mais c’est de la publicité, donc il s’agit d’aller chercher le client potentiel sur son terrain idéologique naturel ; et la clientèle d’Intermarché n’est pas principalement composée de jeunes gens de 18 ans ; elle est donc porteuse d’aimables préjugés de ce genre.
Notons au passage la faible présence de la marque elle-même à l’image. Elle est là comme une toile de fond, le nom n’apparaissant que rarement en entier. En termes de communication, l’annonceur sait qu’il est déjà connu. Son but n’est pas de révéler son existence, mais de s’associer dans les esprits à des valeurs positives, de telle façon qu’on puisse voir ces supermarchés comme des lieux de vie au sens fort du terme : des lieux où ce que la vie a d’essentiel peut trouver de quoi être nourri. Il n’est pas étonnant dès lors qu’Intermarché focalise ses campagnes publicitaires sur les aliments (alors que ces magasins comportent de nombreux autres rayons) : de tout ce qu’il y a à vendre dans ces magasins, la nourriture, parce qu’elle participe à la réalisation des repas, est ce qui permet de la façon la plus évidente d’alimenter ce que la vie a de plus important, dans toutes ses dimensions.
Notons ceci de très rassurant de la part de Katia Lewkowicz : quand il faut relayer le spot de trois minutes par des versions plus courtes de celui-ci, elle ne se contente pas de couper dans son montage pour le raccourcir : elle construit un autre récit avec d’autres séquences, qui permettent de garder une cohérence narrative et de proposer une autre façon de raconter une même histoire d’amour. D’autre part, ce n’est pas seulement une histoire d’amour : dans ses films, cette réalisatrice recourt énormément aux reaction-shots, ces plans durant lesquels on voit des personnages secondaires réagir ce que vivent les personnages principaux. Ici, c’est ce qui permet de faire émerger un des potes du jeune amoureux, qui va se distinguer des autres membres de cette bande de gars et se présenter comme son ami le plus proche, c’est à dire celui qui l’accompagnera dans son transport amoureux jusqu’à être le témoin aux yeux humides derrière ses lunettes de la naissance de ce couple. A travers son regard, on voit le personnage principal, qui est tout d’abord son copain (étymologiquement, ils partagent ensemble les ébauches de repas maladroitement cuisinées et donc, aussi, le pain (co-pain)), devenir le compagnon de cette jeune femme (et ce mot a la même étymologie que le précédent). Ce qui permet de proposer une version courte de ce spot, concentrée sur la relation d’amitié qui unit ces deux partenaires de virées à l’Intermarché :
Mais la vie amoureuse n’est pas un long fleuve tranquille : on se séduit, on vit ensemble un temps, et on se sépare. L’une des caractéristiques de la saga Intermarché réalisée par Katia Lewkowicz, c’est qu’elle embrasse tous les épisodes d’une vie. Les bons, comme les moins bons. Et parmi les sales moments, il y a les ruptures, dont on verra plus loin qu’elle les filme de façon presque directe, et pire encore : la vie qui suit la rupture. Or, les supermarchés sont précisément les lieux dans lesquels on est le plus susceptible de croiser ses ex, dont on rappellera qu’étymologiquement, on les appelle ainsi non pas parce qu’ils appartiennent au passé, mais parce qu’ils vivent encore au présent, mais à l’extérieur de nos propres existences, et que c’est précisément ce qui peut rendre la vie difficile : on peut être le témoin de leur vie « après nous ». C’est ce que met en scène ce microfilm qui a ceci de particulier par rapport à tous les autres, de recourir à une voix-off, là où les autres nous laissent deviner à des détails simples ce que les personnages ont en tête.
On ne sait pas si ce spot a pour mission, dans l’œuvre de sa réalisatrice, de clore la série, mais c’est le tout dernier à avoir été réalisé à ce jour et il semble tellement faire écho au tout premier qu’on pourrait se demander s’il n’a pas pour rôle de constituer une conclusion.
Bonne nouvelle, ce nouveau film rompt avec le stéréotype de genre qu’on avait observé dans le premier film : ici, c’est la jeune femme qui mange « n’importe quoi », et c’est son ex-partenaire qui lui recommande de « grandir ». Tout se passe comme si entre 2017 et 2025 l’ensemble des films avaient accompagné les spectateurs, les nourrissant d’images et d’idées afin qu’ils grandissent peu à peu, que leurs représentations changent et murissent et qu’ils parviennent finalement à un regard plus adulte sur le rôle des uns et des autres. Notons aussi que manifestement, pour Katia Lewkowicz, le fenouil joue un rôle central et décisif dans l’amour naissant, comme si ce légume souvent délaissé était soudain regardé pour ce qu’il es physiquement : un bulbe qui, une fois débarrassé de ses tiges, apparaît comme une évocation verdâtre d’un cœur tel qu’il est biologiquement, et non tel qu’on le représente naïvement, surplombé par ses amorces de veines et artères, prenant visuellement le relais de l’avalanche rouge de tomates qui structurent l’image de ces films et donnent aux rayons fruits et légumes de ces supermarchés fantasmés leur contraste et leur chaleur.
Reste que si l’amour a une fin, la rupture sentimentale n’en est pas, comme on vient de le voir, la cause la plus radicale et définitive. La vie fait qu’un jour ou l’autre il faut bien se quitter, et ce sans retour en arrière. Il est rare que la publicité aborde la question du deuil et mette celui-ci en scène de façon sérieuse : il s’agit d’inciter à consommer de façon insouciante, et cette consommation insouciante est tout de même l’un des divertissements les plus efficaces qu’on ait créé pour détourner nos pensées de tout ce qui pourrait être « grave », comme la réflexion sur notre propre mortalité. On sait ça depuis que Blaise Pascal a montré que si on appelle ça un « divertissement », c’est bel et bien parce qu’il s’agit ni plus ni moins de détourner nos pensées de ce vers quoi elles se dirigent quand on les laisse aller toutes seules : le caractère tragique de notre existence. Si Mouloudji accompagnait musicalement le premier film, si Dalida chantait sur le second, c’est ici Benjamin Biolay qui donne son titre à cet épisode de la série, C’est magnifique, qui met en scène un homme dont on comprend très vite qu’il a dû apprendre à vivre, seul. Mais quand celui ou celle dont on a partagé la vie déserte ce monde, il en reste évidemment quelque chose : les amis communs, les enfants qu’on a mis au monde qui sont toujours là et qui perpétuent la vie. Restent les moments où on est seul, pour de bon, et où on fouille l’existence pour en extraire les signes d’une présence. Ce n’est pas par hasard que le carnet de recettes est central dans ce type de récit : les recettes sont des modes d’emplois, des consignes qu’on peut exécuter à son tour. Et à la façon dont, dans Ghost, on fait de la poterie à quatre mains, un carnet de recettes permet de mettre à son tour la main à la pâte. Ici, c’est plutôt de sauce tomate qu’il s’agit. Et en regardant ce film, on se dit que Katia Lewkowicz a peut être eu en tête le très beau documentaire réalisé par l’encore jeune Martin Scorsese, Italianamerican, dans lequel il filme ses parents chez eux, à New-York, dans leur petit appartement de Little Italy, saisissant sa mère en train de cuisiner sa recette de pâtes à la sauce tomate, dont il lègue l’héritage en inscrivant la recette au générique. Ici, un homme réapprend à vivre bien en mettant ses mains dans les pas de celles de sa femme, jusqu’à retrouver exactement les nuances épicées de sa cuisine et partager encore un repas en sa compagnie et ce, pour l’éternité :
Un détail, qui n’en est pas un, mérite d’être souligné ici : il est très, très rare qu’un film publicitaire s’ouvre sur une longue plage de silence. La « promotion » mise généralement plutôt sur la tonitruance pour attirer l’attention et on imagine assez bien les tractations avec le service marketing autour de ce choix. Mais après tout, dans un monde de bruit, le silence est plus assourdissant encore. Ce qu’il installe, c’est un poids couvrant la vie paisible de cet homme, une douleur qui l’accompagne partout, y compris dans les moments les plus joyeux de ce qui lui reste à vivre, et ce même quand il s’agit du banquet célébrant le mariage de son fils. On parlait d’échanges de regards et de témoins à propos du premier film, on peut ici observer le rapport discret mais direct et franc que la réalisatrice parvient à mettre en scène dans un simple échange de regard entre un fils heureux de vivre l’un des plus beaux jours de sa vie, et son père dont il sait qu’il est simultanément heureux pour lui, et immensément triste de se retrouver si seul dans ce moment qui célèbre le fait d’être accompagné « dans la vie ». Mais de nouveau, le film célèbre la puissance qu’a la cuisine de faire ressurgir du passé des souvenirs qui sont vécus au présent, parce que la façon dont on prépare un plat est une forme de signature, de trace qu’on laisse dans le monde, un geste et une manière de faire qui ont ceci de particulier qu’ils peuvent être repris par ceux qui en seront les héritiers et qui pourront retrouver, intact, le goût unique de ce plat tel que l’autre le préparait et, ainsi, revivre le dîner en tête à tête et le partager une fois encore.
Les Enfants
Mais cette série de films ne serait pas complète si elle laissait de côté ces autres commensaux, ces autres invités des tablées que sont les enfants. Et en parcourant les épisodes dont ils sont les héros, on réalise à quel point Katia Lewkowicz est habile dans la direction de ces acteurs un peu particuliers. Saisis « au naturel », on les découvre parfois plus adultes que leurs ainés eux-mêmes. Ainsi, dans l’épisode intitulé J’ai tant rêvé (accompagné par la voix d’Henri Salvador), on suit les tactiques nutritionnelles d’un enfant inquiet de voir que la taille du conduit de la cheminée familiale ne correspond pas du tout à la corpulence du Père Noël. Occasion pour lui de sélectionner dans le supermarché local les ingrédients de plats diététiques qu’il lui apportera soigneusement, histoire de lui faire passer le message, et ce jusqu’à lui laisser devant la cheminée… une laitue.
Ici encore, il s’agit de mettre en scène une bienveillance dont le centre est la nourriture partagée, le temps qu’on prend, l’intérêt qu’on porte aux proches et ce qu’on construit de vie commune quand on cuisine pour autrui. Pour autant, le spot n’est pas naïf : ce n’est pas cet enfant qui incarne vraiment cette bienveillance (il est un peu intéressé dans cette histoire), mais sa grande sœur, qui sait bien ce qu’il en est du Père Noël mais joue le jeu quand même et accompagne son frère dans la découverte de l’univers merveilleux des salades composées.
Mais le repas familial est aussi l’occasion d’éprouver plus douloureusement l’absence de ceux qui sont partis. La saga Intermarché ose aborder la question du deuil, et on a vu qu’elle se confronte aussi à la rupture amoureuse, envisagée sous l’angle amusant de la « comédie de remariage ». Mais Katia Lewkowicz étonne aussi en osant aborder ce que l’écrasante majeure partie des campagnes de promotion éludent : le divorce, et ce sous l’angle de ce qu’éprouvent les enfants. Et bien sûr, c’est au moment du repas que les choses sont plus sensibles. Quand il manque quelqu’un à table, c’est tout le repas qui devient bancal. Et ce que met en scène ce spot, intitulé Chaque repas a son histoire, c’est l’absence de quelqu’un aux fourneaux. Ce n’est pas que le père ne sache pas cuisiner. C’est plutôt que, ne cuisinant que ce qui sort de l’ordinaire (il ne fait pas « des pâtes », il fait « la pasta !! »), il s’en sort moins bien avec la cuisine du quotidien. Surtout, il ne fait comme le fait celle qui n’est pas là. Et pour l’enfant, constater les faux pas dans la recette est juste une façon de dire que Maman n’est pas là, ce qui ne peut se dire frontalement, moins parce que lui-même ne le supporterait pas que parce qu’il sent que son père, lui, ne regarde pas encore la réalité en face. Dans son Repas, poème tiré du recueil Quelconqueries d’Apollinaire, un père, parti au front imagine le repas partagé par sa famille en son absence. Parce que c’est lui qui est loin de la tablée familiale, sa femme et ses enfants sont heureux au cœur de ses pensées, car il ne voudrait pas que son absence les peine. Ici en revanche, nous sommes du côté de ceux qui restent, et donc de ceux qui souffrent d’autant plus que ce départ ne peut pas vraiment faire l’objet d’une conversation. On mesure alors la puissance qu’a le partage du repas, d’une part en mettant littéralement les pieds dans le plat, parce que là, l’absence est patente, manifeste, perforant l’intimité de l’appartement au point de propulser ce père et ce fils dehors. D’autre part parce que, même si ça ne sera pas le repas prévu, c’est autour du partage de deux sandwiches qu’on parvient à sauver les meubles.
Si on veut s’arrêter un peu sur les détails de la mise en scène, on peut noter plein d’éléments qui concourent à donner à ce film sa profondeur et sa cohérence. L’absence signifiée par l’image, par exemple. Photographies, mais aussi silhouette féminine tracée dans le décor par les mannequins de couture placés dans le séjour. Autre écho résonnant dans cette absence, le pull de l’enfant, qui présente des rayures similaires à celles d’un des seuls vêtements laissé là dans le dressing, comme si cette femme avait tout laissé derrière elle, y compris ce qui l’apparente à son fils. Et puis, de nouveau, le mur de sauce tomate, dénominateur commun de la plupart des spots qui constituent cette série. Pour la couleur évidemment, pour la structuration visuelle des plans sur le rayon pâtes et, peut-être, pour Scorsese.
On peut faire ce petit écart hors de l’œuvre de KatiaLewkowicz, pour observer la quasi absence du divorce dans les spots publicitaires. Et ce n’est pas un hasard si la seule marque à oser aborder cet épineux moment de la vie familiale, c’est Ikea. Deux fois déjà, les magasin de mobilier suédois ont mis en scène la vie particulière que vivent les enfants quand les parents se séparent. Une première fois pour constituer le quotidien autour des meubles, précisément, dans un spot à la tonalité mélancolique réalisé en 2016 par Martin Werner :
Ici, ce sont les meubles qui permettent de reconstituer l’univers coupé en deux de cet enfant, et l’invitent à s’installer pour de bon dans ce monde parallèle à son propre univers qu’est l’appartement de son père. Surtout, sa chambre meublée à l’identique à celle qu’il connaît dans la maison de sa mère est le signe que son père « sait », et cette attention qu’il lui porte remplace le dialogue qu’ils ne peuvent manifestement pas avoir. Mais ce qui est plus intéressant pour nous ici, c’est qu’Ikea a abordé une seconde fois le thème de la séparation, dans un microfilm destiné au marché français qui se focalise, lui, sur la question des repas. Il est intitulé Dites-le en cuisinant, et il est réalisé en 2016 par… Katia Lewkowicz. Comme quoi, il n’y a pas vraiment de hasard.
Cette fois ci, la tonalité est plus enjouée que dans le spot qu’elle a réalisé pour Intermarché car le fils joue de la situation pour obtenir de ses parents qu’ils cuisinent vraiment, semblant se plaindre de ne manger que des coquillettes chez l’autre. Mais c’est toujours autour du repas que l’ex-vie familiale gravite encore, le fils inventant un repas commun fait de coquillettes pour que ses parents s’ingénient l’un comme l’autre (c’est l’élément moteur de ce spot) à lui proposer mieux que ça. Ici encore, la sagesse familiale est incarnée par l’enfant, qui semble mieux savoir que ses propres parents comment gérer la situation. Et ici encore, l’essentiel passe par d’autres éléments que les mots prononcés. Disons ça autrement : si on pouvait tout se dire, on n’aurait pas besoin de manger ensemble.
Le monde du travail
Reste que la famille n’est pas l’alpha et l’oméga de la vie. Le travail est aussi le lieu et l’activité au sein desquels on se construit avec les autres. Or si les compagnons sont ceux qui travaillent ensemble, on les désigne aussi de cette façon parce qu’ils partagent, aux alentours de midi, la pause déjeuner. Il n’est donc pas étonnant que Katia Lewkowicz ait, à plusieurs reprises, mis en scène le monde professionnel en choisissant, de nouveau, de montrer cette camaraderie et cette reconnaissance sous l’angle du partage des repas, sous toutes leurs formes.
Le film le plus frontalement évident, et peut-être l’un des plus touchants, est Ca s’éclaircit devant, qui utilise comme décor un port de fret dont on suit, jour après jour, la pause déjeuner partagée entre dockers. Une « affaire » s’installe, dont on devine l’issue dès le premier élément de dialogue : il y a le collègue qui prépare soigneusement chacun de ses repas le weekend, répartissant chaque portion dans des contenants en verre post-ités avec son nom. Et il y en a un autre, plus jeune, moins soigneux sur son alimentation, qui ironise un peu sur la méticulosité dont son collègue fait preuve dans la préparation des bons petits plats. Et comme dans tout bon film, c’est un dialogue sans paroles qui s’installe, par post-its interposés sur les lunchboxes subtilisées, dévorées, et laissées propres mais vides sur l’égouttoir commun. Le récit est dialectique, alternant une phase d’interrogation et d’enquête, une période de conflit (après tout, le plus soigneux des deux se fait voler, quotidiennement, son repas), enfin une réconciliation qui apparaît comme un moment d’énorme soulagement. Derrière la nourriture, il y a de l’intelligence, et c’est ce qui permet de se comprendre. Le récit est aussi intense qu’une histoire d’amour, sans doute parce que la différence d’âge entre les deux protagonistes, et leur positionnement respectif fait de leur relation une amitié qui se dédouble en une relation qui pourrait être filiale, et c’est la raison pour laquelle l’issue de cette histoire sonne comme une issue inespérée et, donc, belle.
Ce qu’on devine dans ce petit film, c’est le sens aigu dont Katia Lewkowicz fait preuve dans l’art et la manière de faire dire les choses à l’image, pour éviter aux personnages d’avoir à les dire eux-mêmes. Parce qu’ils sont pudiques, ils s’envoient des signes plutôt qu’ils ne s’adressent directement la parole. Et à la question « Pourquoi t’as fait ça ? » il ne peut y avoir d’autre réponse que le silence pour chacun et la reprise du compagnonnage alimentaire. Un plat mijoté dit, finalement, tout ce qu’il y a à dire.
Autre cadre professionnel, le monde hospitalier, auquel Intermarché souhaitait rendre hommage après la période de covid. Cette fois-ci, le récit est a priori classique et pourrait sembler n’avoir qu’un rapport éloigné avec les supermarchés puisqu’il s’agit d’un parcours de soin, et de guérison depuis l’admission à l’hôpital jusqu’à la sortie. Mais en réalité c’est un double récit qui se tisse dans ce spot, se tenant l’un à l’autre par le fil fragile du coup de fil régulier qui donne quelques informations à la famille. D’un côté le domicile où il manque quelqu’un et où il faut bien tenir le coup malgré tout au quotidien quand bien même celui-ci n’a plus rien de quotidien ; de l’autre le monde professionnel avec tout ce que ça comporte théoriquement de distance à ceci près qu’ici il s’agit de remettre les gens sur pieds, de leur sauver la vie alors qu’ils sont passés à deux doigts de la catastrophe. Un duo mère-fille d’un côté et un soignant de l’autre, éloignés et proches à la fois, réunis par le souci commun qu’ils se font pour un seul et même homme, mari et pères pour les uns, patient pour l’autre. Il est, pour les deux premiers, tout au monde, et il ne peut pas tout à fait n’être qu’un patient parmi tant d’autres pour celui qui le prend en charge, parce que ce métier l’amène à considérer chacun comme une fin en soi, envers et contre tout. De tous les spots mis en scène dans cette série, c’est celui où la marque apparaît le moins, l’annonceur acceptant de passer au second plan pour ne pas voler pas la vedette à ceux qui sont les véritables héros, auxquels il s’agit de rendre hommage. Très rares sont les publicités où les marques savent rester à leur place.
Ici, le repas n’est pas tout à fait partagé, il est ce qu’on laisse après avoir quitté les lieux, en offrande à ceux qui ont fait en sorte que l’incident de parcours ne soit pas la ligne d’arrivée d’une vie, et qu’arrivé allongé, le père de famille puisse repartir sur ses deux jambes. De nouveau on retrouve une inversion des relations générationnelles. Le patient a l’âge d’être le père de celui qui le soigne et entre les deux s’établit plus qu’une relation professionnelle, parce qu’il est impossible de ne pas voir l’humain derrière le corps en rade, et derrière ce corps, ceux qui à la maison attendent son retour. L’aide-soignant et la famille ne se rencontreront qu’à distance, se voyant de loin et se parlant au téléphone, mais le temps d’un buffet de remerciement, ils seront les êtres les plus proches du monde, réunis dans une reconnaissance mutuelle, les uns pour la vie sauvée, l’autre pour la reconnaissance justement. Parallèlement, la cuisine et les courses sont ce qui unit concrètement ce fils et sa mère. Parce que dans les moments où ça craque, il n’y a pas grand chose à dire.
« Je ne sais pas comment vous dire merci ». Et en effet pour de tels gestes les mots sont un peu pauvres, et on ne saurait pas les prononcer. Les soignants prennent soin des patients alors le moins qu’on puisse faire, c’est prendre soin d’eux. Et s’il y a bien un soin universellement partageable, c’est la tablée qui manifeste le temps qu’on a pris pour autrui, l’application dont on a fait preuve pour que ce soit bon, que ce soit beau, que ce soit une façon en acte de dire merci. Mais il y a autre chose ici, qui est le soin mis dans la réalisation du film lui-même, qui cuisine ses ingrédients avec la même minutie qu’on a pour dresser une pâtisserie. Ainsi, les échos gestuels qui unissent en un raccord entre deux plans les fenêtres de l’hôpital et celles de la maison, le soignant qui ferme les rideaux et l’épouse qui les ouvre, le soir et le matin, le là et l’ici. Le lien visuel qui scelle cette communauté est la table elle-même, puisque c’est à la maison que celle-ci semble être dressée, puis dans la salle de repos de l’hôpital que le personnel découvre ce remerciement discrètement respectueux, comme si pour une fois les espaces privé et public se réunissaient tout en demeurant à distance, comme s’il était possible finalement, d’être ensemble sans empiéter chacun sur l’univers de l’autre.
La série de films donnant envie d’aller à Intermarché plutôt qu’ailleurs ne serait pas complète si elle n’évoquait pas, au moins pour un épisode, celles et ceux qui produisent les mets qu’on peut trouver en rayon. Sur la route met en scène une cliente et un producteur de fromages, unis le temps d’un trajet un peu trop lent par leur autoradio respectif, réglé sur la même station FM diffusant, dans chaque habitacle, une chanson qu’ils connaissent et apprécient trop bien pour ne pas la chanter en chœur, sans s’en rendre compte. Belle façon de nous faire sentir qu’avant même de se connaître, ils sont sur la même longueur d’ondes. La mise en scène cette fois ci plus fantaisiste que ce que proposent les autres films de la série, amène à penser que pour un peu les brebis pourraient se joindre à ce duo et transformer l’épisode en comédie musicale animalière. Evidemment, le scenario joue jusqu’au bout l’ambiguïté de la situation, et de nouveau on assiste au remplacement de la parole par d’autres voies de communication : on ose à peine se dire bonjour, mais on échange tout de même puisque l’un livre la marchandise dont on se dit que l’autre l’achètera nécessairement. A défaut de dialogue, on assiste ici, pour de bon, au début d’un commerce amoureux.
Jean Schultheis, qui est l’interprète de la chanson diffusée à la radio, constitue le paratexte de l’image, en posant les bonnes questions : quand on aime, qui est-ce qu’on aime vraiment ? Et quand on achète le produit de l’artisan local, le fait-on pour lui ? Ou pour soi-même ? Il n’y a pas de bonne réponse à cette question : de toute évidence, le commerce est une activité qui se pratique nécessairement à deux. Ce que l’un veut acheter, il faut bien que l’autre le vende, et inversement. Ce que ce rapport direct entre producteur et consommateur amène dans l’espace commercial, c’est l’humanité : soudain, on connaît celui qui a fait ce fromage ; tout à coup, on connaît celle qui va le manger. Ce lien qui consiste à nourrir les autres est alors incarné et cette relation d’habitude anonyme est désormais personnifiée. Confidence pour confidence, c’est moi-même que je nourris à travers vous. C’est même, très exactement, ce qui est en train de se passer face à mon clavier, et devant votre écran.
Et puis il y a ce domaine professionnel qui nous touche peut-être plus que les autres parce qu’il est celui dans lequel on évolue soi-même. Les enseignants, ces autres travailleurs en première ligne dans les périodes de crise, ont ceci de commun avec les soignants qu’ils sont censés prendre soin de celles et ceux dont ils ont la charge, et que la façon spécifique dont ils le font consiste à les nourrir. Evidemment, il s’agit de nourriture intellectuelle, de savoirs, de savoir-faire et savoir-être, mais de la même façon qu’un plat doit être ingéré et digéré, ce qu’ils transmettent réclame aussi du temps pour être assimilé. Un professeur des écoles quitte son poste en province, l’école villageoise dans laquelle il enseignait et, surtout, les enfants et leurs familles. Ayant obtenu sa mut », il rejoint Paris, ou il y monte à la capitale. Comme souvent dans les films de cette série, on n’assiste pas à un déferlement de sentiments qui s’exprimeraient directement de personnage à personnage. Il y a à cela deux raisons. L’une est cinématographique : une telle scène paraîtrait un peu outrée, et surtout elle constituerait une impasse narrative : après l’effusion des larmes, le récit ne pourrait pas aller plus loin. L’autre est commerciale : si les personnages expriment leurs sentiments, ils se suffisent à eux-mêmes. Or dans le monde enchanté de la publicité il ne faut pas s’auto-suffire, sinon on n’incite plus du tout à la consommation. Ici, comme dans les films que nous avons précédemment évoqués, ce qui ne se dit réussit néanmoins à s’exprimer par le double chemin de l’image filmée et du partage de la nourriture. Manifestement seul dans la vie, le jeune professeur ne mesure pas à quel point ce village qui l’a accueilli est devenu, sans qu’il s’en rende compte, sa nouvelle famille. Le simple jeu social quotidien ne permet pas de dire quelle est la nature réelle de ce lien qui s’est tissé : on est dans un contexte professionnel qui ne se confond pas avec la famille de chaque enfant. Dès la scène des adieux dans la salle de classe, on sent que personne ne peut rien dire de ce qu’il a sur le cœur. Le professeur reste pudique sur ses propres sentiments, les enfants restent factuels et se gardent bien de mettre les pieds dans le plat, quittant la salle dans une apparente indifférence, le technicien de l’école, qui assiste à cette scène sans trop savoir quoi en penser, ne peut pas non plus mettre de mots sur ce dont il est témoin et ce qu’il vit lui-même à ce moment précis. Les villages de ce genre sont souvent des sociétés de taiseux qui gardent pour eux ce qu’ils ressentent, par pudeur. Au point que ce professeur sur le départ se retrouve tout seul au milieu de cette bourgade. C’est que les villageois au grand complet sont au rayon fruits et légumes de l’Intermarché local, en train de faire les courses pour organiser un pot de départ digne de celui qui a pris en charge les enfants de ces familles pendant trois années de sa vie, et de la leur aussi.
On mesure la qualité de la construction de ces spots à la façon dont leur scénario essaie de ne pas tomber dans la pure évidence. Dans de nombreux autres films de ce genre, y compris des longs métrages, le personnage principal rejoindrait la fête surprise au bon moment, et tout se passerait comme prévu. Ici, il se trouve qu’il surprend les préparatifs, ce qui l’amène à y participer lui aussi. Ainsi, on le voit pleinement intégré dans la vie du village, œuvrant avec les habitants pour préparer ensemble un banquet qui va sceller son intégration au moment même où il doit partir. Alors commence une soirée qui sera faite d’échanges, durant laquelle l’essentiel d’une relation humaine va être vécu. On se parle, on fait attention aux autres, on se nourrit, on acte les choses en les vivant et en prononçant des mots que nous-mêmes, spectateurs, nous n’entendrons pas, parce qu’ils concernent l’intimité de ce que ce village éprouve. La tortue, qui est le prétexte à la quête des villageois, devient à son tour une responsabilité qu’on transmet aux plus jeunes, tandis que littéralement, le village nourrit à son tour le professeur comme on donne la cuillère à manger à un enfant. Cette fois, la fusion se fait entre les actes, les nourritures de toutes sortes, et les paroles.
La parole
Ainsi, on constate que le dénominateur commun de tous ces films, c’est qu’on y met en scène le repas comme un équivalent des discours qu’on ne saurait pas prononcer, dont les aliments seraient les mots, dont les recettes seraient la syntaxe et l’accord des saveurs la grammaire. Reste alors un dernier film, formellement assez différent des précédents, davantage urbain, moins ancré dans les traditions puisqu’il a pour objectif de faire la promotion du Drive. L’enjeu est délicat car ce spot ne peut pas jouer sur les mêmes ressorts que ceux qu’on a observés dans les précédents courts-métrages. On quitte l’univers bourgeois des petites villes de province pour se rapprocher d’un univers davantage urbain. Mais voila, il s’agit tout de même d’Intermarché, et la marque ne peut pas rompre avec sa clientèle traditionnelle et l’image que celle-ci a des magasins dans lesquels elle va faire ses courses. D’où le recours, cette fois ci, au langage. André est le prénom du personnage principal de ce film, c’est aussi le titre de cet épisode et on va vite se rendre compte qu’il y a à la fois quelque chose qui va, et qui ne va pas, dans sa façon de parler :
Si André n’est pas celui qu’on croit, c’est qu’il est un personnage incarné par celui qui fait les courses pour lui. Et si l’attention est immédiatement captée par l’usage, pour la première fois, du noir et blanc, on n’a pas le temps de s’en faire la remarque parce que le héros de ce film prend la parole et de toute évidence, il y a un gros décalage entre l’image et le son : il ne parle pas comme il le devrait, comme si sa voix venait d’un autre temps, dans ses intonations et bien sûr plus encore, dans son vocabulaire. Le monologue de ce film est un festival d’expressions désuètes et d’attitudes d’un autre temps, et les mots prononcés ne peuvent pas être ceux de l’homme qu’on a à l’image. Toute l’habileté de ce film consiste à provoquer un décalage temporel plutôt que spatial, évitant ainsi les malentendus : cet homme est bien à sa place. Le problème est plutôt que son langage semble provenir directement d’un autre temps. L’épilogue permet de comprendre pourquoi : faisant les courses de quelqu’un d’autre, il incarne pleinement son client, agissant et surtout parlant comme lui le ferait s’il faisait lui-même ses courses. On pourrait épiloguer sur le fait que ce soit un homme dont on se dit en le regardant qu’il pourrait être « issu de l’immigration » qui soit au service d’un homme dont on pourrait se dire en le voyant qu’il est davantage « de souche ». On l’a dit à propos du premier film : la publicité va chercher le spectateur là où il est, elle joue avec les présupposés les plus répandus. Et de fait, dans la réalité c’est encore ainsi que les choses se passent souvent. Il en va donc, un peu, de la crédibilité de la situation. Mais précisément, le film déjoue les préjugés dès les premiers mots : cet employé n’est pas celui qu’on croit, et il ne parle ni n’agit comme on pourrait s’attendre à ce qu’il le fasse. A la façon dont, dans Un Prophète, Jacques Audiard déshabille totalement le personnage incarné par Tahar Rahim de tout ce que le spectateur et les autres personnages pourraient supposer à partir du corps même de Tahar Rahim, nettoyant ce personnage de toute forme de présupposé pour lui permettre de se construire à neuf, André lave son personnage principal de tout ce qu’on pourrait supposer de lui en le regardant et lui offre la possibilité de se construire par lui-même, selon un modèle qui diffère de ce qu’on attend de lui.
Ce que ce film met en évidence, c’est que la nourriture n’est pas seulement quelque chose qui se mange. C’est aussi quelque chose dont on parle. Et la façon dont on parle cet argot un peu désuet met déjà la nourriture à la bouche : ce personnage a la gouaille de celui qui déguste déjà les mets au moment où il en parle, la prononciation remplaçant cette fois-ci la dégustation. Son verbe est un rapport déjà physique aux plats que ces victuailles vont permettre de préparer. En retrouvant son client sur le parking, on comprend l’ensemble du film : André attend sur le parking à côté de sa Peugeot 404. Il vient bel et bien d’un autre temps et a atteint cet âge où on peut se permettre de ne plus faire ses courses soi-même. Mais ne plus les faire c’est aussi perdre la relation sociale qu’on alimente en jouant au client. Ici, ce n’est pas grave : la personnalité d’André se transporte dans celui qui fait les courses pour lui, au point que celui-ci en adopte les attitudes et le phrasé.
Finalement donc, mettre en scène les courses et le repas, c’est filmer sans les montrer directement ce que les relations humaines peuvent avoir de plus profond, dans les meilleurs moments et dans les plus rudes. Ce lien entre repas et parole, entre les aliments qui nourrissent le ventre et les mots qui nourrissent tout le reste devient évident quand on regarde le film de la série qui ne montre aucun aliment pour se concentrer sur ce qui, pendant des semaines, nous a empêchés de manger ensemble : la porte d’entrée qui, parce qu’elle devait rester fermée afin de ne pas laisser un virus gâcher la fête, interdisait de se recevoir les uns les autres, de se faire une bouffe, de s’en jeter un ou deux derrière la cravate. Pendant cette période, on pouvait parler puisque tous les moyens techniques nous permettaient de dialoguer. Les groupes Whatsapp grossissaient, les grands parents découvraient Skype, les webcams trônaient en permanence au sommet des écrans. Mais quelque chose manquait, que ces technologies ne compensaient pas : le plaisir de préparer ensemble le repas qu’ensuite on partagerait, le soin mis à ce que le verre de l’invité ne soit jamais vide, cette façon qu’on a de lui dire ce qui compte sans avoir à prononcer de paroles qui seraient gênantes pour l’un comme pour l’autre, en choisissant plutôt de lui proposer de le resservir, d’en prendre encore une part, ou de boire un dernier verre tout en espérant dans le fond partager, mais plus tard, le café du petit déjeuner. Ces portes que filmait Katia Lewkowicz à la fin du confinement étaient la métaphore de ce sur quoi elles n’ouvraient plus : le partage d’un brunch, l’invitation à déjeuner, le dîner auquel on reste finalement. Ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard si, quand elles s’ouvrent, elles donnent accès à une pièce qui porte le même nom que le premier plat qu’on sert à table : l’entrée.