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A propos de l’article de Cédric Eyssette sur l’art et la manière de bien rater sa dissertation

Tous les ans, on s’évertue à trouver une nouvelle façon de présenter à des élèves qui, eux,  s’évertuent à se présenter comme novices, une méthode permettant de réussir à coup sûr leur dissertation en philosophie. Si on était honnête, on leur dirait clairement que nos meilleurs textes, on les a écrits sans trop savoir comment, qu’en fait à les relire c’est tout juste si on se dissertationreconnaît en avoir été les auteurs. Ils semblent être arrivés d’on ne sait où, comme si parfois, on pensait plus qu’on ne pense. Ça ne signifie pas qu’ils viennent de nulle part, ou qu’on soutienne ici qu’une quelconque inspiration puisse dicter les problématiques et les éléments de développement d’une dissertation aux neurones de certains candidats, laissant les autres dans le brouillard. C’est plutôt qu’à force de lire, et à force de méditer ce qu’on lit, des bribes de discours se forment dans la pensée, qui n’attendent parfois que le bon sujet pour être rédigées pour de bon, comme on collecte dans un survival-game des armes glanées dans le territoire, pour le moment où elles trouveront à qui parler. Disserter, c’est peut-être avant tout collecter des bricoler des poires pour la soif.

Dès lors, il n’y aurait pas d’autre méthode que le long terme. Pour réussir une dissertation, il faudrait que le sujet qu’elle propose croise de lointaines préoccupations,vienne à la rencontre de lectures anciennes, de réflexions déjà approfondies, de phrases longtemps ruminées, qu’on n’avait pas encore eu l’occasion de placer dans les conversations. Toute méthodologie proposée à chaud serait une incitation à l’illusionnisme. Et si le jour J, la prestidigitation est une option à ne pas tout à fait négliger, on peut aussi espérer que derrière le prestige de la simulation, on puisse aussi déceler une pratique véritable de la réflexion, qui vise au delà de la simple esbroufe.

On a déjà donné ici des trucs et des recettes permettant de sortir de l’épreuve de philosophie sans trop se ronger les ongles dans la zone « kiss and cry » en attendant les résultats. Mais à l’usage, les élèves disent eux mêmes que ces conseils ne font que confirmer quelque chose dont ils sont déjà porteurs. Restent ceux chez qui cela ne fait écho à rien, à qui ça ne parle pas, ceux à qui l’esprit même de l’exercice de la dissertation échappe, souvent parce qu’ils s’en font une fausse idée.

Pour ceux là, on pourrait conseiller de lire la méthode pour bien rater sa dissertation, que Cedric Eyssette (dont les sites sont ce genre de sources à bonnes idées qu’on aime croiser dans le désert du réel qu’est parfois le net) a mise en ligne il y a quelques jours. Ce collègue a eu l’idée de décrire la dissertation à travers tout ce qu’elle n’est pas, sachant que, précisément, sur un paquet de copies, bon nombre d’entre elles sont  construites selon ce « modèle » en forme de double maléfique, cette fausse image miroir dans laquelle on ne la reconnait pourtant pas.

Ca donne un article facétieux, qui fait d’autant plus sourire qu’on y reconnait des passages entiers de copies corrigées (on y retrouve même des morceaux de copies dont on aurait été, par le passé, l’auteur), qu’on y croise des stratégies adoptées sous notre nez lorsque nous surveillons des DST de philosophie. Et, chers élèves, je ne sais s’il faut que vous vous en réjouissiez, ou que vous trembliez de n’être pas seuls à tomber dans ce genre de panneaux, mais on retrouve ces tendances, de façon plus ou moins raffinée, à tous les étages de la hiérarchie des pratiquants de la dissertation. Je ne compte plus le nombre de collègues qui, accompagnant des TPE, disent aux élèves avant même qu’ils aient choisi leur sujet, avant même que celui ci comment à être exprimé sous la forme d’un problème, qu’il faut déjà qu’ils constituent leur plan en choisissant entre une option analytique et une option synthétique, oblitérant ainsi toute possibilité pour les jeunes esprits d’être les auteurs de leur propre stratégie de pensée, et admettant qu’eux aussi ont abandonné toute prétention à avoir autorité sur leurs écrits.

Mais au delà de l’ironie qu’il peut y avoir à faire ainsi le portrait de celui qui s’ingénie à se planter en beauté (on pense d’ailleurs ici à l’étonnant petit livre du psychothérapeute Paul Watzlawick, intitulé Comment réussir à échouer), on peut constater que quelques unes des formes déviées de la dissertation décrites par Cedric Eyssette ont en fait pour cause une certaine volonté de bien faire. Et on ne saurait reprocher aux élèves de vouloir bien faire. Simplement, ils oublient qu’en philosophie, on ne peut connaitre ce « bien » avant de l’avoir mis en oeuvre (et a fortiori avant d’avoir lu le sujet qu’on va traiter). Une fois encore, on ne saurait trop insister sur le fait que pour être l’auteur de sa dissertation, il faut s’interdire de l’écrire selon des routines toutes faites qui préexisteraient au sujet, à son analyse, à sa problématisation et à la méditation qu’on aura menée, alimentée par les spécificités qu’on aura accumulées en soi, sous forme d’expériences cinématographiques, de lectures, ou de méditations passées. Ce sont finalement de tels trucs que recense ce document.

Et tout compte fait, si on relit cette jolie recette de la dissertation foirée, si on comprend qu’une dissertation n’est pas, et ne peut pas être le résultat de l’application de simples routines mises en oeuvre automatiquement, quoi qu’il arrive, et qu’il s’agit de ne pas écrire n’importe quoi, sans pour autant écrire comme s’il ne s’agissait que de correspondre à un texte qui serait déjà écrit, quelque part, et dont le correcteur détiendrait un exemplaire à partir duquel il corrigerait, tout aussi automatiquement, toutes les copies qui échouent sur son bureau, alors on peut comprendre en creux pourquoi la pratique véritable de la dissertation peut être considérée comme une des méthodes d’éducation à la liberté.

Comme sur mon navigateur, ce document apparaît dans une mise en page un peu étrange (http://eyssette.net/comment-rater-sa-dissertation-en-philosophie/1473), je vous conseille d’accéder directement au document lui même, ici : http://eyssette.net/docs/2013-2014/comment-rater-sa-dissertation-en-philosophie.pdf

Illustration : en fouillant un peu à la recherche d’images pouvant accompagner la notion de « dissertation », je suis tombé sur cette jolie tentative d’auto-destruction d’élève. Je ne suis pas très amateur de mise en ligne de copies d’élèves, mais on peut assez bien imaginer que ce soit l’élève en question, assez fier de sont fait, qui l’ait lui même répandue sur le net. On peut douter que l’élève ait été dupe de la note qu’il aurait en s’y prenant de cette façon. On peut tout à fait être conscient de faire très précisément ce qu’il ne faut pas faire. Après tout, quand on a déjà une bonne moyenne, qu’on ne vise pas la plus haute place sur le podium, qu’on se sent prêt pour ne pas faire ce genre de n’importe quoi le jour de l’examen, pourquoi ne pas se saborder un peu, en se faisant plaisir beaucoup ? Le problème, en cette occurrence, c’est qu’on réalise que, finalement, même faire n’importe quoi, ça ne peut pas être réussi en le faisant tout à fait n’importe comment.

Si vous avez du mal à lire la copie, vous la retrouverez ici, dans toute sa splendeur : http://www.thinkervine.com/misc/dissertation_big.jpg

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2 Comments

  1. Merci cher collègue pour ce commentaire sur ma tentative d’écrire une méthode pour rater sa dissertation !
    J’apprécie également beaucoup votre blog, comme j’ai déjà pu le dire en ces lieux !

  2. Et vous savez que c’est réciproque, et encore, je ne renvoie pas à vos articles chaque fois que j’en ai envie, sinon je n’arrêterais pas !

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