Born to be alive

In L'Existentialisme est un humanisme, Liberté, Pascal, Recettes et méthodes, Sartre, Sujets, Sujets traités, Technique
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Il y a quelques jours les candidats à l’agrégation interne de philosophie se voyaient proposer le sujet suivant, sur lequel ils ont pu composer pendant 7h.

Il est parfois intéressant de se confronter dès la terminale à de tels sujets. Ici, l’intérêt est double : d’une part il permet de reprendre pas mal de connaissances acquises lors du tronc commun de terminale, d’autre part il vise aussi la seconde partie du programme de HLP en terminale.

Dans ce qui suit, on va davantage s’appuyer sur le programme de tronc commun, à la suite d’un travail mené en classe, avec les élèves, sur ce sujet, visant à montrer un peu ce à quoi peut ressembler la préparation d’une dissertation.

Méthodologie pratique de la dissertation

La proposition suivante consiste à découvrir ce qu’est une dissertation de philosophie en travaillant un sujet tombé, il y a quelques jours, à l’agrégation interne. En philosophie, les mêmes questions peuvent être posées quel que soit le niveau d’études atteint par les candidats. Un même sujet peut donc être donné à des élèves de terminale, ou à des étudiants qui ont un bac + 5 dans cette discipline. Voici ce sujet :

Est-ce une chance de naître humain ?

Analyse du sujet

L’important, ici, est de traiter la question, toute la question, rien que la question. « Toute la question » signifie en fait « toutes les dimensions de la question ». Il faut donc tout d’abord qu’on analyse suffisamment le sujet pour discerner ces dimensions. Il faut donc mener un gros travail au brouillon pour défricher la question et repérer pour quelles raisons, au pluriel, elle pose problème.

Pour cela, il faut pratiquer des distinctions dans la façon dont on peut définir les termes de la question. Il ne s’agit donc pas tant de les définir, que de montrer que leur définition est ambiguë, multiple.

Disons ça autrement : le but d’une dissertation, c’est de montrer qu’on peut définir de façon nouvelle les concepts sur lesquels porte le sujet. Pour qu’on puisse mener le travail attendu, il faut accepter l’idée que les termes du sujet n’ont pas de définition définitive. Sinon, il n’y aurait pas de problème.

« Naître humain »

On sait, parce qu’on l’a dit en cours, qu’être humain ne se réduit pas au simple fait de correspondre, génétiquement, à l’espèce biologique du genre des hominidés. Être humain à la naissance ne suffit pas à être véritablement humain. Pour être humain, il faut le devenir tout au long de sa vie. Pour reprendre la phrase célèbre de Simone de Beauvoir (« On ne naît pas femme, on le devient »), on pourrait dire qu’on ne naît pas humain, on le devient. La question dès lors, est de savoir en quoi réside la « chance » de naître humain si de toute façon cela ne suffit pas de naître ainsi pour être véritablement humain tout au long de sa vie.

L’autre aspect de cette observation, c’est que si ce qui permet de dire que le nouveau-né est humain dès son apparition, puisqu’on se fonde sur des critères objectifs, biologiques, pour l’affirmer, il est plus délicat par la suite de déterminer ce qui fait d’une vie, une vie authentiquement humaine, puisqu’il semble qu’il n’y ait pas de critères objectifs permettant de le déterminer.

Le mot « chance 

Ce qui est intéressant ici, c’est de s’apercevoir que le mot « chance » peut avoir deux sens en particulier : 1 – la chance est une aubaine, une bienveillance du sort dont on pourrait profiter. 2 – la chance est, de façon plus neutre, le fait que quelque chose puisse être ou ne pas être, avoir lieu ou ne pas avoir lieu, se faire ou ne pas se faire. En ce sens, elle relève de ce qu’on appelle philosophiquement la contingence. On a donc deux sens du mot « chance » ; le premier relève du sens commun, de l’opinion populaire, le second relève du vocabulaire philosophique. On peut se dire que l’enjeu de la réflexion, ce sera de passer de l’un à l’autre.

Ce qu’on peut faire alors, c’est se demander si la réponse qu’on peut apporter à la question change selon qu’on parle d’un sens, ou de l’autre. Et ici, l’idée est de faire en sorte qu’en effet cette réponse soit différente, parce que ça va nous aider à structurer notre réflexion selon au moins deux grandes thèses, c’est-à-dire selon deux grandes réponses qu’on peut apporter à la question posée.

Ebauche des premières hypothèses, et premier schéma de plan

Que répondre à la question posée si la chance est une aubaine ?

Si le mot chance désigne une aubaine, on peut dire que lorsqu’un être naît humain, il n’a pas vraiment tiré le gros lot : à la naissance, l’être humain est d’une telle fragilité qu’il n’est presque pas viable. De plus, la conscience qu’il a de cette faiblesse le rend anxieux face à sa propre existence. La raison de cette angoisse, on la connaît un peu : l’être humain a ceci de particulier qu’il n’a pas de définition propre, c’est-à-dire d’identité en laquelle il puisse se reconnaître.  Mine de rien, si notre première thèse, c’est la malchance qu’il y a à naître humain, alors on a déjà au moins trois arguments pour la soutenir. Ça tombe bien : il n’en faut pas plus et il suffira de développer ces trois points pour montrer en quoi naître humain est une malchance.

Que répondre à la question posée si la chance est le simple potentiel que quelque chose se réalise ou pas, de façon tout à fait contingente.

Mais si la chance est un simple potentiel, c’est-à-dire le principe selon lequel quelque chose puisse être, ou ne pas être, alors la réponse sera un peu différente, suffisamment pour justifier la rédaction d’une seconde partie. Celle-ci ne s’oppose pas frontalement à la première : il ne s’agit pas de montrer qu’on a écrit des éléments faux, mais de mettre en lumière le fait qu’on n’est pas obligé de tirer de sombres conclusions du fait que l’homme n’ait pas de définition propre, ni du fait qu’il soit fragile à la naissance : en effet, aussi curieux que ça puisse paraître, on peut voir dans ce départ un peu catastrophique dans la vie la raison de la grandeur de l’homme :

D’abord parce que la fragilité biologique de l’être humain définit précisément sa dimension technique : l’homme complète son corps insuffisant par des outils qui le rendent fort. Ensuite parce que l’angoisse dont il souffre l’ouvre à un dépassement de lui-même, parfois même dans une dimension spirituelle. Enfin, parce que le fait de ne pas avoir de définition propre est précisément ce qui fait de l’homme un « existant », c’est-à-dire un être libre, ce qui le rend absolument singulier comparé aux autres êtres.

Enfin, on peut se demander ce que ce paradoxe signifie pour l’homme

En effet, nos deux premières thèses semblent un peu contradictoires, sans pour autant s’opposer frontalement. On peut prendre le temps de montrer que cette ambiguïté est ce qui fait de l’homme un être « pas comme les autres »

Tout d’abord, parce que cette force technique est aussi, à son tour, l’origine d’une faiblesse que l’homme doit à son tour surpasser. Mais aussi parce que cette puissance que l’homme découvre en lui-même lui permet de se confronter à la notion de toute puissance, et à penser un être qui soit plus à même que lui de la maîtriser. Enfin, parce que cette puissance et cette liberté font de l’homme un être sur lequel repose le pire et le meilleur des poids : la responsabilité. Dans ces trois dimensions, il s’agit de montrer que, finalement, naître humain n’est pas une bénédiction, au sens où ça ne garantit absolument pas de vivre heureux (ça ne garantit même pas de vivre tout court !), et que ça ne permet pas non plus de vivre humainement, puisque précisément personne ne sait en quoi consiste le fait de vivre humainement : une telle vie n’est pas définie à l’avance. En revanche, naître humain offre la chance de devenir humain, c’est-à-dire de définir l’humanité en choisissant de vivre de telle ou telle façon, de faire de l’humain ce qu’on aura fait de soi-même. Il n’y a pas plus grande responsabilité ; or on le sait bien, le poids d’une telle condition est suffisamment lourd pour qu’on ait du mal à discerner si c’est une chance, ou pas, de devoir le supporter. C’est en tout cas la mise en évidence du caractère contingent de l’existence humaine.

Faire le point

Si on résume :

En ayant déjà en tête ce qu’on a vu en cours à propos du mot « humain », on s’est contenté, au départ, de discerner dans le mot « chance » deux sens différents, et on en a tiré la structure principale de notre réflexion, en essayant d’alimenter avec des débuts d’arguments chacune des deux branches de la réflexion. Enfin on a été amené à reconnaître l’ambiguïté fondamentale dans laquelle on se trouve quand on « naît humain », et voir en cette ambiguïté une réponse nuancée à la question posée. C’est le fait d’avoir discerné ces deux formes de « chance » qui nous a aidés à y voir peu à peu plus clair dans ce qu’on peut appeler « être humain », et repérer le fait qu’il ne suffit pas de naître « humain » pour « être » véritablement et pleinement humain.

Reste maintenant à préciser ces trois grandes parties, en indiquant plus clairement quels sont les arguments qu’on va utiliser et, peut-être, les références sur lesquelles on peut s’appuyer pour réfléchir et justifier les positions qu’on va soutenir.

Une règle importante : le plan doit comporter deux ou trois grandes parties. Chaque partie doit comporter deux ou trois sous-parties, c’est-à-dire deux ou trois paragraphes.

Ici, on va sans peine trouver de quoi alimenter nos trois parties parce que la question posée permet de retrouver bon nombre de connaissances déjà croisées ensemble en cours

Enrichissement du plan tel qu’on l’a construit intuitivement :

1e partie Naître humain n’est pas une chance
1e sous- partieBiologiquement, l’être humain à la naissance est le moins viable des êtres vivants  Le Mythe de Prométhée L’Enfant sauvage, film de François Truffaut
2e sous- partieL’être humain a conscience de sa faiblesse et du fait qu’il n’a pas de place dans l’univers, ce qui engendre en lui une profonde angoisseBlaise Pascal
3e sous- partieL’être humain ne sait même pas ce qu’il est censé devenir, puisqu’il n’y a pas de définition a priori de l’humainJean-Paul Sartre
2e partie La chance qu’il y a à naître humain réside précisément dans la faiblesse originelle de l’être humain
1e sous-partieC’est parce qu’il est biologiquement faible que l’être humain devient techniquement fortLe mythe de Prométhée L’analyse qu’Aristote mène des mains humaines
2e sous-partieLe fait d’être perdu dans son existence incite l’homme à chercher quelque chose qui le dépasse, ce qui le lance dans une quête spirituelle, dans un mouvement de dépassement de soi.Blaise Pascal Ou plus largement tout ce que nous avons dit en cours à propos de la religion
3e sous-partieL’être humain, s’il n’a pas d’identité originelle, doit s’inventer lui-même en vivant : c’est moins un « étant » qu’un « existant ».Jean-Paul Sartre
3e partie La « chance » de naître humain est moins une aubaine qu’une contingence. Moins une bénédiction qu’une responsabilité. La « chance » de naître humain réside dans la liberté, à laquelle on est dès lors condamné.
1e sous-partie« Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités »
La puissance technique de l’humanité constitue son talon d’Achille
Spiderman (film) Le Mythe de Prométhée
2e sous-partieEn se saisissant de sa propre existence, l’homme devient un Dieu pour lui-même, expérimentant une toute puissance qui peut le dépasser. C’est l’hybris dont parlait l’antiquité grecqueDurkheim, à propos de toute puissance
Bruce tout puissant (film) Captain Marvel (film/BD)
3e sous-partieL’être humain est cet être particulier qui prend la responsabilité de devenir ce qu’il sera et de définir l’humanité telle qu’il la fera en agissant. Naître humain c’est avoir devant soi toutes les chances de le devenir. L’être humain est libre.Jean-Paul Sartre

Les types de plan

Plan dialectique

Le plan que vous venez de lire correspond assez bien à ce qu’on appelle un plan dialectique : il part d’une première thèse, dont il propose dans une deuxième partie de prendre le contre-pied (antithèse) et il essaie enfin de dépasser cette opposition en montrant que celle-ci forme en réalité un tout (synthèse)

Ce genre de plan est le Graal de la réflexion philosophique. Une sorte de forme parfaite. Mais on ne parvient pas à produire cette forme à tous les coups, et il ne faut pas chercher à le faire à tout prix. En fait, le mieux, c’est de parvenir à un plan dialectique sans chercher à le faire, en le créant plutôt qu’en le produisant (on a vu cette distinction en cours)

Plan thématique

Si on regarde bien le plan que j’ai proposé ci-dessus, on s’aperçoit que chaque grande partie est structurée de la même façon :

1e sous-partie : la naissance biologique

2e sous-partie : la difficulté à se développer humainement tout au long de sa vie, qui pousse l’homme à se référer à un être supérieur à lui-même

3e sous-partie : le fait qu’il n’y ait pas de définition claire de l’humanité, condamnant chacun à se créer soi-même.

On peut dès lors, si on veut, structurer le plan tout à fait différemment selon ces trois thèmes, qui sont les fameuses « dimensions » dans lesquelles le sujet pose problème, et qui vont constituer les trois grandes parties 

Ce sont les mêmes « briques » que dans le plan dialectique, mais elles sont organisées autrement :

1e partie – La biologie
1e sous- partieBiologiquement, l’être humain à la naissance est le moins viable des êtres vivants  Le Mythe de Prométhée L’Enfant sauvage, film de François Truffaut
2e sous-partieC’est parce qu’il est biologiquement faible que l’être humain devient techniquement fortLe mythe de Prométhée L’analyse qu’Aristote mène des mains humaines
3e sous-partie« Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités »
La puissance technique de l’humanité constitue son talon d’Achille
Spiderman (film)
Le Mythe de Prométhée
2e partie – Naître humain, c’est être perdu quelque part entre les animaux et Dieu
1e sous- partieL’être humain a conscience de sa faiblesse et du fait qu’il n’a pas de place dans l’univers, ce qui engendre en lui une profonde angoisseBlaise Pascal
2e sous-partieLe fait d’être perdu dans son existence incite l’homme à chercher quelque chose qui le dépasse, ce qui le lance dans une quête spirituelle, dans un mouvement de dépassement de soi.Blaise Pascal Ou plus largement tout ce que nous avons dit en cours à propos de la religion
3e sous-partieEn se saisissant de sa propre existence, l’homme devient un Dieu pour lui-même, expérimentant une toute puissance qui peut le dépasser. C’est l’hybris dont parlait l’antiquité grecqueDurkheim, à propos de toute puissance
Bruce tout puissant (film) Captain Marvel (film/BD)
3e partie – L’être humain est cet « existant » qui ne peut pas se contenter de naître pour être ce qu’il est. C’est là le paradoxe de sa chance.
3e sous- partieL’être humain ne sait même pas ce qu’il est censé devenir, puisqu’il n’y a pas de définition a priori de l’humainJean-Paul Sartre
3e sous-partieL’être humain, s’il n’a pas d’identité originelle, doit s’inventer lui-même en vivant : c’est moins un « étant » qu’un « existant ».Jean-Paul Sartre
3e sous-partieL’être humain est cet être particulier qui prend la responsabilité de devenir ce qu’il sera et de définir l’humanité telle qu’il la fera en agissant. Naître humain c’est avoir devant soi toutes les chances de le devenir. L’être humain est libre.Jean-Paul Sartre

Plan dialectique faible (simple opposition de thèses) :

Ce serait la simple opposition frontale des deux premières parties du plan dialectique, dont on conclurait que la deuxième partie l’emporte sur la première. Il peut arriver qu’on ait deux thèses à opposer sur un sujet, et que l’une soit nettement plus convaincante que l’autre. Dans ce cas, si les arguments de la deuxième partie sont véritablement convaincants et qu’on n’a plus ni nuances, ni dépassement à proposer, on peut se permettre de conclure.

Souvent, on fait ça parce qu’on n’a pas trouvé de dépassement ou de synthèse à proposer. Ce n’est pas parfait mais ça permet tout de même, souvent, d’obtenir une assez bonne note.

Plan orienté (une seule thèse, mais plusieurs raisons de la soutenir)

Enfin, on peut imaginer qu’un élève ne soutienne qu’une seule thèse, par exemple, ici, le fait que naître humain constitue pour l’être humain une malédiction. Dans ce cas, il faudrait n’utiliser que les arguments de la première partie, en faire les titres de chaque grande partie, et proposer pour chacune une série d’arguments qui constitueront les sous-parties.

Exemple :

1e partie – Biologiquement, l’être humain à la naissance est le moins viable des êtres vivants  
1e sous- partieL’humain, à la naissance, est un grand prématuré  L’Enfant sauvage, film de François Truffaut
Toutes connaissances médicales liées aux nouveaux-nés
2e sous- partieL’humanité n’a pas de place très claire au sein de l’universLe mythe de Prométhée  
3e sous- partieNaître humain n’est une chance ni pour l’être humain, ni pour la nature elle-même : l’être humain envisagé comme un parasiteLes thèses écocentristes qui visent à la disparition, au moins partielle, de l’humanité, pour le bien de la nature.
2e partie – L’être humain a conscience de sa faiblesse et du fait qu’il n’a pas de place dans l’univers, ce qui engendre en lui une profonde angoisse
1e sous- partieL’homme perdu au sein de sa propre existenceBlaise Pascal et l’expérience du réveil en un lieu inconnu
2e sous- partieLa nécessité pour l’homme de se divertir pour échapper à l’angoisse vécue devant le vide de son existenceBlaise Pascal de nouveau, autour de son analyse du divertissement
3e sous- partieL’homme peut en venir à douter d’absolument tous les éléments de son existenceDescartes et son doute hyperbolique
Matrix (film)  
3e partie – L’être humain ne sait même pas ce qu’il est censé devenir, puisqu’il n’y a pas de définition a priori de l’humain
1e sous- partieIl n’y a pas de mode d’emploi de la vie, ni d’instructions très claires quant à ce qu’une vie humaine est censée poursuivreLe Cube (film)
Jean-Paul Sartre
2e sous- partieIl n’y a ni bien ni mal objectifs, c’est l’homme qui décide, de bout en bout, ce qui est moral et ce qui ne l’est pas.« Si Dieu n’existe pas, tout est permis » (Dostoïevski, repris par Sartre)
3e sous- partieUne telle responsabilité ne peut pas être considérée comme une chance : c’est un poids immense, trop lourd pour les êtres humains qui sont dès lors prêts à s’en décharger sur le premier être supérieur venu (despote, divinité) en s’y soumettant.Nietzsche et sa critique de la religion comme signe de faiblesse humaine
Marx et son analyse de la religion (« opium du peuple »)
Feuerbach, pour les mêmes raisons.

Evidemment, les plus malins d’entre vous se disent que si on peut ainsi développer comme une grande dissertation la première partie du plan dialectique qu’on proposait en premier, c’est qu’on peut le faire aussi pour les autres parties de ce plan. En effet. Et si on pousse ce principe à son terme, on n’écrit plus une dissertation, mais un traité, c’est-à-dire un livre. Le jour de l’examen, on ne vous en demande pas tant. Mais si un jour vous souhaitez écrire un livre, un essai, un traité ou une thèse, c’est ainsi qu’on peut s’y prendre.

Les autres plans

Il existe, en fait, une infinité de formes de plans. Il est toujours possible d’en inventer de nouvelles qui soient adaptées, sur mesure, au sujet qui est proposé. La seule limite, c’est celle de l’ingéniosité des candidats. Car c’est bien de ça qu’il s’agit : on réussit en philosophie si on est ingénieux ; c’est-à-dire si on construit sa dissertation comme un ingénieur concevrait, puis réaliserait, un pont, un stade ou une usine. De la même façon qu’il n’y a pas qu’une seule façon de construire un pont au-dessus d’un fleuve, il n’y a pas qu’une seule façon de traiter le sujet « Est-ce une chance de naître humain ? ». Il en va de même pour n’importe quel autre sujet.

Précision importante : un plan n’est pas nécessairement construit sur trois grandes parties. Comme on l’a vu, il peut n’en comporter que deux. Une partie n’est elle-même pas nécessairement composée de trois sous parties. Elle peut n’en comporter que deux. Jamais moins.

Règles simples :

  • Pas moins de deux parties, mais pas plus de trois. Donc : deux, ou trois grandes parties.
  • Pas moins de deux sous-parties, mais pas plus de trois. Donc : deux, ou trois sous-parties.

Que manque-t-il à notre dissertation ?

Son squelette logique :

L’introduction,

Celle-ci répond aux mêmes exigences que celles de l’explication de texte.

Elle doit :

  • Montrer les raisons pour lesquelles on peut douter de la réponse à apporter à la question posée. L’ensemble de ces raisons, qu’il faut prendre le temps d’exposer, constitue ce qu’on appelle la « problématique ». Ne vous laissez pas impressionner par ce mot. Il s’agit tout « simplement » de montrer l’ensemble des raisons pour lesquelles on ne peut pas répondre d’emblée à la question posée.
  • Puis en déduire les pistes qu’on peut suivre pour tenter de répondre à la question posée. C’est le moment où on va pouvoir préciser les thèses qu’on peut soutenir, ce qui permet d’annoncer le plan.

Précision importante : on écrit une introduction de dissertation comme un auteur de roman policier écrit la scène d’exposition : l’écrivain sait qu’elle est l’issue de son texte, mais il ne le dit pas au lecteur dès la première page. L’introduction d’une dissertation fait de même : elle garde du suspens, elle ne dit pas tout. Il s’agit ici de montrer que la question posée se pose vraiment. Il est donc beaucoup trop tôt pour y répondre !

Les transitions

Entre chaque grande partie (ici, à la suite de chaque 3e sous-partie), on rédige un petit paragraphe qui fait le point sur les acquis de la partie précédente puis, de façon logique (en utilisant des connecteurs logiques comme « cependant », « pourtant », ou bien « par conséquent », « donc »), on relance la réflexion en montrant qu’il y a encore des dimensions du problème qu’on n’a pas traitées, et qui empêchent encore de répondre directement à la question. Evidemment, on n’écrit pas de transition à la fin de la dernière grande partie.

La conclusion

Ce dernier paragraphe doit être… concluant ! C’est-à-dire qu’il doit apporter une réponse motivée, justifiée, à la question posée : « Voici pourquoi, à la question posée par le sujet, on peut répondre que… » Généralement, en philosophie, on va apporter une réponse nuancée par tout ce que le développement a permis de montrer. Il ne s’agit donc pas de répondre frontalement « oui », ou « non » (d’autant que beaucoup de sujets ne le permettent pas), mais de proposer quelque chose de plus subtil, comme « si on considère que la chance est une bénédiction, alors on peut affirmer que naître humain… » (…), mais si la chance est une simple possibilité, relevant de ce que, en philosophie, on nomme contingence, alors on sera plutôt amené à répondre que… »

A quoi ça ressemble à la fin ?

Quand on suit un plan tel que j’en ai proposé ici plusieurs, chaque sous-partie constitue un paragraphe à part entière, visuellement séparé des autres. Physiquement parlant, la dissertation se présente donc ainsi, si elle comprend trois grandes parties composées, chacune, de trois sous-parties :

IntroductionUn paragraphe

Saut de ligne

1e partie
1e sous-partieUn paragraphe
2e sous-partieUn paragraphe
3e sous-partieUn paragraphe

Saut de ligne

TransitionUn petit paragraphe

Saut de ligne

2e partie
1e sous-partieUn paragraphe
2e sous-partieUn paragraphe
3e sous-partieUn paragraphe

Saut de ligne

TransitionUn petit paragraphe

Saut de ligne

3e partie
1e sous-partieUn paragraphe
2e sous-partieUn paragraphe
3e sous-partieUn paragraphe

Saut de ligne

ConclusionUn paragraphe

P.S.

Pour ma part, comme je l’ai glissé en cours avec l’une de mes trois classes, je me noterais quelque part sur un des brouillons l’expression « n’être humain », et je me donnerais comme défi personnel de la glisser, bien en vue, quelque part. Parce que lorsque l’épreuve dure 7h, il faut bien trouver quelques missions supplémentaires à se donner pour se motiver un peu, mais aussi parce qu’elle fait sens, et qu’il n’y a pas de raison, dès lors, de se priver de son usage !

Serions-nous admissibles à l’agrégation avec un tel plan ? Probablement pas. Nous n’avons passé que deux petites heures sur cet ouvrage. Mais nous avons, au bout de ces deux heures, quelque chose qui tient tout de même debout, quelque chose qui


Le photogramme illustrant cet article est assez célèbre : tiré du chef d’oeuvre de Stanley Kubrick, 2001, a Space Odissey, il est connu sous le nom de « Foetus astral ». C’est moins la naissance d’un homme qu’une image cosmique de la naissance de l’humanité elle-même. On pourrait tout à fait imaginer utiliser une méditation sur cette image au cœur de la réflexion proposée par ce sujet. Il faudrait alors modifier le plan et se lancer dans un cheminement différent de celui qu’on a suivi. Mais c’est précisément cette contingence ci qui fait tout l’intérêt de cette discipline. Je place donc cette image ici, comme un moteur supplémentaire pour envoyer la pensée vers d’autres orbites, plus élevées encore.


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4 Comments

  1. Votre site, outre qu’il me procure énormément de plaisir à me perdre dans ses pages, à grandement aidé ma fille à préparer son bac (excellents conseils de méthodologie!) Résultat des courses: une mention TB, et une future étudiante en licence de philosophie à la rentrée ! Je m’autorise donc à vous dire : merci Harry !

    • Merci beaucoup Nina !

      Quelque chose me dit que ce succès est surtout dû au travail de votre fille, et à la réflexion qu’elle a personnellement mise en oeuvre. Je la félicite en tout cas, et lui souhaite de s’épanouir dans les études qu’elle va entamer très prochainement, maintenant ! Et merci pour votre merci.

  2. Merci beaucoup Nina !

    Quelque chose me dit que ce succès est surtout dû au travail de votre fille, et à la réflexion qu’elle a personnellement mise en oeuvre. Je la félicite en tout cas, et lui souhaite de s’épanouir dans les études qu’elle va entamer très prochainement, maintenant ! Et merci pour votre merci.

  3. Bonjour monsieur,

    J’ai pris plaisir à lire cette proposition de corrigé d’autant plus que cela m’a rappelé vos cours car je me souviens de certaines références et que d’autres ont été approfondies en cours puisque je suis en khâgne B/L.

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