Nouveaux occupants au n°100 – épisode 2

snc011541C’est Noël.

Profitant des reliquats du budget 2009, c’est une sérieuse commande de livres que nous avons pu passer fin Octobre, et les cartons viennent de rejoindre le CDI, où nos documentalistes sont en train d’équiper ces nouveaux ouvrages.

J’ai tout de même eu le temps de prendre en photo ces arrivages, afin d’en dresser ici la liste, et indiquer ainsi aux élèves quels territoires de la pensée ils peuvent explorer depuis cette base de lancement qu’est le lycée.

Comme d’habitude, je me contente de prendre les livres dans l’ordre de la pile et d’en donner une rapide présentation. Il en va des livres comme des hommes : mieux vaut les rencontrer sans intermédiaires.

Cliquez sur la photo de la pile de livres pour voir les tranches en taille lisible.

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images2La plus belle histoire du bonheur, André Comte-Sponville (2004). Notion au programme, objectif soi-disant visé par tous, concept central de l’histoire de la philosophie, le bonheur fait partie de ces noms dont on voit bien ce qu’ils désignent sans qu’on puisse pour autant en donner une définition claire. Ce qu’on peut craindre, évidemment, c’est que cette inaptitude à définir le bonheur empêche de se diriger de manière efficace vers lui. Ainsi, le bonheur nécessite t-il une méditation à son sujet, qui permette de le circonscrire mais aussi de le reconnaître dans les pensées qui, depuis l’antiquité, ont tenté de lui donner un visage. C’est ce projet que vise ce livre qui, tel une leçon, envisage le bonheur tel qu’il a été conçu à travers les siècles, et constate finalement à quel point notre propre temps est paradoxalement celui qui a le plus tenté de définir matériellement les conditions du bonheur, et celui au cours duquel les hommes s’en sentent les plus éloignés.

imagesUne semaine de philosophie, Charles Pépin (2006). Et si on pouvait introduire aux grandes questions philosophiques en autant de leçons qu’il y a de jours dans la semaine ? On aurait tendance à dire que mieux vaut se méfier des projets d’exploration de la philosophie qui se donnent un ultimatum temporel pour s’accomplir. Ils sont souvent articulés sur une espèce de rentabilité qui s’accommode mal de l’exigence de détachement vis à vis du temps que réclame la philosophie. Cependant, Charles Pépin propose ici une retraite philosophique dont on imagine assez bien qu’elle puisse accompagner une semaine de vacances, au cours de laquelle on consacrerait ce temps à autre chose qu’à simplement reconstituer sa force de travail. Si le loisir est un temps qu’on peut consacrer à son propre épanouissement, alors ce livre est tout indiqué pour les périodes, nécessairement limitées, au cours desquelles nous bénéficions de ce rare loisir. Accessoirement, pour ceux qui ont un examen à passer, il est aussi, comme tous les livres qui condensent en peu de pages des problématiques essentielles, un élément de révision qui n’est pas dénué d’efficacité. A la différence des ouvrages qui veulent donner à leur lecteur une « teinture » de surface qui le rende séduisant aux yeux d’un correcteur, Une semaine de philosophie suscite une véritable réflexion, qui ouvre à une poursuite au delà de sa dernière page. On n’en demande pas plus à un livre d’initiation, et on en est trop souvent privé.

cagy99jaca5kgxrecazowju7carcd6alcaekalhgcahjgme5ca0pqmjlca6ahzlgcaua437wcaq2zslhcaizrupncaoggcnjcasyab3ucadw4jnkcae2g8twca5ncnbkca730b2gcabkuqoycau9tyibLa montée de l’insignifiance, Cornelius Castoriadis (1994). « Ce qui caractérise le monde contemporain, c’est bien sûr les crises, les contradictions, les oppositions, les fractures, etc… mais ce qui me frappe surtout, c’est l’insignifiance. Prenons la querelle entre la droite et la gauche. Actuellement elle a perdu son sens. Non pas parce qu’il n’y a pas de quoi nourrir une querelle politique et même une très grande querelle politique, mais parce que les uns et les autres disent la même chose. Depuis 1983, les socialistes ont fait une politique, puis Balladur est venu, il a fait la même politique, puis les socialistes sont revenus, ils ont fait avec Bérégovoy la même politique, Balladur est revenu, il a fait la même politique, Chirac a gagné les élections en disant : « Je vais faire autre chose » et il fait la même politique. » (extrait de l’interview que Castoriadis accorda à Daniel Mermet, pour l’émission Là-bas si j’y suis, sur France inter. L’insignifiance, c’est la perte du sens. Or, politiquement, la perte du sens apparaît comme doublement préjudiciable : d’abord c’est la perte de sens du discours lui même, qui n’est plus écouté, ni cru, ni même évalué. Dès lors, l’usage de la parole politique devient vain, puisqu’il n’est plus ce qui va permettre de faire émerger ce en quoi on pourrait se reconnaître. Ensuite, c’est la perte de l’orientation : si tous les discours se valent dans leur universelle et feinte polémique, c’est que la politique ne vise plus aucun horizon. Elus au petit bonheur la chance, les politiques ne sont que l’expression de l’errance idéologique des citoyens. Ils naviguent à vue, consultent les sondages comme on questionnait les oracles, afin de plier leur action aux caprices du moment, quand l’action politique est en fait censée, y compris en démocratie, faire l’inverse. Castoriadis offre ici l’un des plus accessibles de ses livres et les entretiens avec Daniel Mermet sont relativement faciles à trouver.

ca4fmjoucak0py6pcaqr74wyca4o85erca7ucf1acaq808jmca2rz7tkcabnq2kvcadmwuexcau7w51bcaid3952cayubs8lcasqxwpbcat4p0vecammcwmdcau4v6rocagblrf6ca1nuam0cauh8rzwLes bonheurs de Sophie, Dominique Janicaud (2002). Ecrit pour sa fille, qui allait entrer en Terminale, afin qu’elle s’initiât à cette discipline à laquelle tout est censé préparer, sans qu’on s’y sente jamais tout à fait prêt (même quand on la pratique, d’ailleurs), ce livre sera aussi le testament de Dominique Janicaud, frappé par la mort quelques jours après la fin de la rédaction de cette initiation. Trente leçons qui sont autant d’ouvertures à la réflexion. Ici encore, on échappe à la nécessaire efficacité de celui qui veut passer le moins de temps possible sur les questions qui peuvent « tomber » à l’examen; on privilégie au contraire l’investissement au long terme, car ce que mettent en place ces trente petits chapitres, ce n’est que l’ensemencement d’un jardin qu’il s’agira ensuite de cultiver.

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ca7lom1xca6nbw21ca0ez0p2cami79x2ca9t2eyicamwoujscaqg0d90cah6n7omcasrl78zca09a4t8camofu0ucaaovahfca2noh28caljo7n0cat0qlx6caww48rrcarqqce3ca0kwgfucarqes07La philosophie sur grand écran, Olivier Deckens (2007). Quoi de mieux, pour éclairer une caverne, qu’une lanterne magique ? On l’a compris, le cinéma est une source de projections inépuisable pour les concepts philosophiques. Mais le risque, c’est de sombrer dans une illustration pédagogique qui ferait sans doute une bonne initiation, mais produirait tout aussi indubitablement de mauvais films. Sans doute le cinéma devient il pleinement intéressant lorsqu’il prend conscience que la cavener elle même est cette lanterne magique qui produit les images tout en proposant de les dépasser. Cet ouvrage reprend les concepts qui sont au programme de terminale, pour leur consacrer, chacun un court chapitre qui est systématiquement constitué d’une présentation générale, d’un texte tiré de la tradition philosophique, et d’une séquence de film qui est ensuite brièvement commentée. On aimerait, parfois, un développement accru, en particulier sur le terrain des commentaires, tant des textes que des séquences. Cependant, pour le lecteur attentif, le livre agit comme un véritable programme de méditation, dont on sait que les premiers éléments, ceux qui vont provoquer le processus de pensée, sont ces textes, et ces séquences de films, dont la simple liste suffit à générer l’envie de s’y confronter sans plus attendre, pour voir ce qui en émergera. Ajoutons que le choix de films ainsi que, dans une certaine mesure, celui des textes, sort des sentiers battus.

cao259pbcah03r3mcaqbqz0tcatkxsmzcajfx4ggcag6qpc4ca927sgwcabz78xtcazlmapkcatoguuicavma02xcasg5gj3cavhf621cazmp0zrcaacdbbucaa41a0hcaz14uipca0mpf0vcabiacmmPhilosophie en séries; Thibaut de Saint Maurice (2009). Sur le même modèle que le précédent. Et chez le même éditeur. Ce sont les séries qui sont cette fois ci mises à contribution. Il se trouve que la série est un genre qui connait depuis quelques années un renouveau qui s’apparente quasiment à une renaissance du genre. L’ouvrage présenté ici en tire un parti philosophique d’autant plus aisément que les séries elles mêmes revendiquent cette influence. Les confrontations entre concepts et illustrations sont intéressantes. On regrettera simplement que les ancêtres des séries actuelles soient un peu délaissées, comme le sont les séries à petite audience. En somme, on sent le parti éditorial qu’il y a à tirer de la référence à Docteur House. Mais philosophiquement parlant, des séries à faible audience, comme La Petite mosquée dans la prairie, Hung ou Breaking Bad seraient tout autant pertinentes, sans oublier les titres plus anciens, tels que Clair de Lune, Mariés deux enfants ou Chapeau melon et bottes de cuir, pour n’en citer que quelques uns. Là où cet ouvrage pêche un peu, c’est qu’il donne finalement assez peu envie de découvrir de nouveaux univers, en dehors de ceux que le public, et donc le lecteur plébiscite d’ores et déjà. Mais s’il s’agit d’appuyer des processus de réflexion sur des éléments de culture déjà implantés dans la culture des élèves, et d’en saisir la profondeur, alors l’ouvrage est une réussite.

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ca5bymaqcamfubelcadqduiqcaug33pjcaisr34fcarvi0x7cawbzdqqca7e4xomcay3ruq0cagoj7rjcaoai00wcaelt7i7ca02tot6caqaq1wzca4g5wz0ca2dlo1fcaix3w2oca3048btcau96z14La haine de la démocratie, Jacques Rancière (2005). Si la démocratie a longtemps constitué un idéal politique sacré que nul n’aurait osé attaquer intellectuellement (les seuls ennemis de ce régime étant alors des illuminés totalitaires, imposant leurs visions par la barbarie), l’état de grâce démocratique semble avoir pris fin, pour laisser la place à une attaque en règle dont les intellectuels sont les lames les plus effilées. Jacques Rancière s’attaque à son tour aux arguments de ceux qui ont pris la démocratie en haine, et tente de déceler quelles sont les véritables racines de leur critique. Ainsi, par contraste, ce sont les éléments essentiels de la démocratie qui apparaissent, loin des simplifications auxquelles nous ont malheureusement habitués ceux qui ont fait de la défense de ce régime une évidence qui ne réclamerait ni justification, ni analyse préalable. Ce travail de légitimation, Rancière l’effectue en éclaireur, dans ce court livre qui est particulièrement bienvenu dans les débats qui nous animent.

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ca8j7lcgcaiht4mgcayysum6ca9y7sc8caljcex1cavfsu08caeqx3fgcau2z816catigdibcaqzpk9bcajq77ssca2yoq27cas6m7x3cawp1ln2caurrwn1caay099ica2wnczbcaioa4jccay1hxccOpuscules sur l’histoire, Kant. Il s’agit ici de plusieurs textes courts à propos de l’histoire, envisagée comme un processus orienté vers une fin. Le coeur de ce recueil, c’est le plus célèbre de ces opuscules : l’Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique. Il n’est pas exclu qu’au moment où les logiques politiques semblent se resserrer autour de la nation, horizon apparemment indépassable des visées humaines. Pourtant, dans ce texte écrit en 1784, dès l’introduction, on pose une question qui semble dépasser les seules logiques locales : L’histoire peut elle être envisagée, en ce qui concerne l’espèce humaine, selon un plan déterminé de la nature ? Voila qui hisse le débat un peu plus haut. On verra dans notre propre épisode historique un effet de notre insociable sociabilité, un mouvement de balancier qu’on supposera provisoire, si les visées que propose Kant dans cet ouvrage sont bel et bien pertinentes. On ne peut en tous cas pas dire que ce petit livre soit d’actualité, puisque l’actualité semble ne pas l’avoir encore rejoint.

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cav3z0iicadxerv0ca1h8pj5ca4pho2gcawrthtqcag6589ocan3106xcat31wcecaxnw64zcagt2mw4cavifr7rcadclb8fca8hhg3jcabvo8n4calnpodmcacvbsf6canmmvbgca29vy41caiv1thrPourquoi êtes vous pauvres ? William T. Vollmann (2008 pour la traduction française). Vollmann aurait lancé son projet sur l’étude de la violence sans s’attacher tout particulièrement à sa forme insidieuse contemporaine, l’inégalité économique, on aurait été déçu, et on aurait pu lui en vouloir. Soyons rassurés, pendant plusieurs années, il a parcouru le monde, s’installant successivement dans tout ce que le monde fait de plus pauvre en matière de quartiers, de villes, de régions, de pays, de continents quasi entiers parfois. Ce ne sont pas les candidats qui manquent à la question qu’il pose à ses voisins d’infortune : Pourquoi êtes vous pauvres ? Ramener la situation économique des indigents non pas à une condition, mais à un effet de causes qui pourraient, si on s’y penchait un peu, être identifiées, voila le projet de nouveau à la fois littéraire, sociologique, philosophique que se fixe Vollmann dans cet ouvrage. Au delà des portraits, des dialogues, c’est aussi à une analyse introspective qu’il se livre, et sans doutes les pages les plus saisissantes sont elles celles où il se confronte à la peur que lui même éprouve face aux pauvres. Le chapitre intitulé « Je sais que je suis riche », qui s’ouvre sur la définition suivante de la richesse « ma peur envers les gens que définis comme pauvres me définit en partie comme riche » donne le là de cette écriture en permanence consciente du rapport qu’elle entretient avec son objet. Peu de pages aussi aigues semblent avoir été écrite sur ce qui demeure une lutte de classes.

Joli programme de lecture, n’est ce pas ? Ce n’est qu’un début, j’ai encore deux autres piles d’ouvrages à chroniquer.

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