Vouloir ce qu’on fait

« Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir, succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. Quoiqu’il se prive dans cet état de plusieurs avantages qu’il tient de la nature, il en regagne de si grands, ses facultés s’exercent et se développent, ses idées s’étendent, ses sentiments s’ennoblissent, son âme toute entière s’élève à tel point, que si les abus de cette nouvelle condition ne le dégradaient souvent au-dessous de celle dont il est sorti, il devrait bénir sans cesse l’instant heureux qui l’en arracha pour jamais, et qui, d’un animal stupide et borné, fit un être intelligent et un homme.

Réduisons toute cette balance à des termes faciles à comparer. Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peut atteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans ces compensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civile qui est limitée par la volonté générale, et la possession qui n’est que l’effet de la force ou le droit du premier occupant, de la propriété qui ne peut être fondée que sur un titre positif.

On pourrait sur ce qui précède ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale, qui seule rend l’homme vraiment maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. »

J.J. Rousseau ; Du Contrat social, de l’Etat civil, 1762

L’auteur

Jean-Jacques Rousseau est un philosophe majeur du 18e siècle. Contemporain des Lumières, auteurs avec lesquels il entretient un dialogue serré, il ne s’y intègre pas tout à fait, tant en raison de distances intellectuelles, que pour des motifs manifestement liés, aussi, à son caractère. Il est étudié, tant pour ses qualités littéraires que pour l’intérêt que présente sa réflexion, tout particulièrement dans le domaine politique. Son Contrat social est une œuvre incontournable, sur lesquelles s’appuient encore nos institutions.

Le problème, et la thèse

Placer la liberté sous la protection de la loi, n’est-ce pas se tirer une balle dans les pieds ? En effet, la loi constituant une contrainte, dans la mesure où elle limite l’action, et la liberté consistant a priori en l’absence de limites, instaurer des lois, c’est donc empiéter sur la liberté, et non la protéger. Mais voilà, une telle conception du rapport entre la loi et la liberté se heurte sans doute à l’impossibilité plus grande encore de vivre librement en l’absence de lois. Sans doute parce qu’en réalité, abolir ce que nous appelons usuellement « les lois », c’est voir ressurgir d’autres lois, naturelles, celles-ci, qui ont pour effet des relations de domination qui ne sont pas compatibles avec la liberté de chacun, même si elle démultiplie celle de certains. On comprend donc que si on veut que la liberté soit partagée, il soit nécessaire de mettre en place des lois. Le problème semble donc insoluble, puisque la théorie se heurte à la pratique.

Pourtant, Rousseau propose une piste pour sortir de ce problème : il faut distinguer deux types de libertés, l’une naturelle, l’autre civile, et comprendre que ces deux libertés ne se valent pas, seule la liberté civile apportant à l’homme la garantie de pouvoir se réaliser.

Argumentation du texte

Structure argumentative générale du texte :

Le texte fonctionne en deux grands temps, qu’on peut repérer sur les paragraphes. Le premier propose de dresser la liste de ce qu’il y a à perdre et à gagner à passer de l’état de nature à l’état civil. Et c’est sur cette comparaison que Rousseau établit ensuite la distinction entre la liberté naturelle et la liberté civile, ce qui permet de comprendre l’intérêt qu’il y a à vivre sous la protection des lois, et en quoi il y a là un gain en liberté. Un dernier bref paragraphe fait la synthèse de ce qui précède, proposant une conception révisée de la liberté, conçue non plus comme un laisser-aller, mais comme une maîtrise volontaire.

1 – Que gagne-t-on à passer de l’état de nature à l’état civil ?

Avant tout, il faut préciser une chose : ces deux états évoqués par Rousseau ne doivent pas être conçus comme des époques se succédant dans l’histoire de l’humanité. Donc, l’état de nature n’est pas un état passé, et moins encore un état initial de l’humanité. On comprend bien cela dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : l’état de nature, en l’homme, est un potentiel, pas un véritable état dans lequel l’homme pourrait être observé à l’état pur, duquel il pourrait « sortir », ou vers lequel il pourrait se rendre de nouveau. Donc, le « passage de l’état de nature à l’état civil » ne doit pas être considéré comme un voyage, le franchissement d’une étape ou une conversion. C’est plutôt le passage d’un certain type de potentiel, à un autre type de potentiel. Dans l’état de nature, certaines virtualités peuvent se réaliser. Dans l’état civil, ce sont d’autres virtualités qui peuvent l’être.

Rousseau va tout d’abord opposer, point par point, ces deux états, en montrant ce que le « passage » de l’un à l’autre provoque. Et même si usuellement on a tendance à faire une analyse linéaire des textes, ici on peut disséquer le premier paragraphe en séparant les éléments caractéristiques de ces deux états, pour les rassembler.

Ainsi, l’état de nature se caractérise par une conduite dirigée par l’instinct, c’est-à-dire les incitations inscrites biologiquement dans le corps, ce qui amène l’homme à agir selon des impulsions physiques et des appétits, comme peuvent le faire les animaux. Comme ces pulsions viennent entièrement du corps (le mot appétit peut évidemment faire penser à l’incitation que provoque la faim, mais il ne faut pas le limiter à cela, il désigne en fait toutes les sortes de manques qu’on peut éprouver, et on peut par exemple comprendre le texte en pensant au manque et aux pulsions sexuels, qui peuvent pousser un individu à un certain nombre de comportements), elles ne visent que la satisfaction personnelle, puisque celle-ci est aussi ressentie en son propre corps. L’état de nature est donc un état égocentrique, puisqu’on n’y prend en considération que soi-même ; mieux vaut parler d’égocentrisme (qui est moralement neutre : les enfants en bas âge sont égocentriques par nature, car ils ne prennent pas en considération les manques et les attentes des autres, ils ne se préoccupent que de la satisfaction de leurs propres manques car, ne pouvant pas ressentir ni se représenter les penchants des autres, ils ne peuvent être motivés (mis en mouvement) que par les leurs. Rousseau précise que cet état provoque évidemment des satisfactions, puisqu’il nourrit les plaisirs recherchés par le corps. Mais la fin du paragraphe est sans appel quant à la valeur qu’il faut lui accorder : cet état est celui d’un animal stupide et borné, c’est-à-dire d’un être qui ne peut pas dépasser ses propres pulsions, et doit vivre dans la stricte limite de ses intérêts personnels, et immédiats. Il est incapable de prendre en compte l’intérêt des autres, de faire quelque chose pour eux s’il n’en tire pas un avantage individuel. Il lui manque donc quelque chose pour devenir un homme.

Or ce qui lui manque, c’est précisément le passage dans un autre état, auquel il peut accéder précisément parce que l’état naturel d’un homme n’est pas tout à fait celui d’un animal : l’homme, à l’état de nature, est potentiellement apte à développer une attitude civile. Et ce n’est pas le cas de l’animal. Ce paragraphe, en prenant le contrepoint systématique des caractéristiques de l’état de nature, permet de tracer les grandes lignes de l’état civil. Ainsi, là où il est naturel pour l’homme de suivre ses instincts, il est aussi appelé à être soucieux de justice. Or on le comprend immédiatement, il n’y a pas de justice sans le souci de l’intérêt des autres, puisque chercher la justice, c’est admettre, par exemple, que si on commet du tort à quelqu’un, il faudra qu’on le dédommage, voire même qu’on soit puni. Si on refuse ce principe de réparation des torts commis envers les autres, c’est qu’on n’est pas soucieux de justice, et qu’on fonctionne comme le ferait un simple animal. Et les mêmes éléments peuvent être évoqués quand il s’agit de morale : on n’est pas moral si on est indifférent au bien d’autrui. Etre immoral, ce n’est pas faire le mal, c’est ne faire le bien que pour soi-même. Le dépassement de cet égocentrisme est la marque des comportements moraux, qui prennent en considération autrui, et visent à faire le bien pour quelqu’un d’autre, et pas pour soi-même. Et parce qu’un tel comportement n’est pas spontané (aucun instinct, en l’homme, ne provoque de gestes ou d’actions commis dans l’intérêt des autres), il est nécessaire qu’un autre principe soit la source des actes moraux dans l’homme à l’état civil : ce sera le devoir, qui parle en nous comme une véritable voix, indiquant non pas ce que nous avons besoin de faire (le corps suffit à nous le dire), mais ce que nous devons faire, c’est-à-dire ce à quoi il faut que nous nous contraignions nous-mêmes. Or, puisque l’intérêt poursuivi dans l’état civil est un intérêt commun, partagé, et pas un intérêt purement privé, il est logique que cet intérêt soit défini collectivement, en partenariat avec les autres. Or, le système permettant de définir des intérêts communs, et de les mettre en œuvre ensemble, c’est ce qu’on appelle le droit ; il fait l’objet d’une négociation entre êtres humains, qui décident ensemble leurs objectifs et leurs règles, et inscrivent ceux-ci dans des règles communes, définissant ce qu’on a le droit de faire, et ce qu’on n’a pas le droit de faire. En somme, l’état civil modifie profondément la source des actions dans l’être humain, puisque celles-ci ne sont plus provoquées par des motifs purement personnels et corporels, mais par d’autres principes, au sommet desquels on trouve le plus important : la raison. Celle-ci a le double avantage de ne pas dépendre du corps – puisqu’elle est capable de contraindre celui-ci (on peut être physiologiquement tenté de faire quelque chose, et néanmoins demeurer raisonnable et s’interdire soi-même de le faire) – et d’être tout à fait collective : quand on dit quelque chose de rationnel, on sera d’accord avec les autres, puisque les règles de la raison sont exactement les mêmes pour tous. C’est dans cet état que l’homme peut se développer dans la créature animale qu’il est, aussi, à l’état de nature. Et on voit Rousseau développer tout ce qu’il y a à gagner quand on entre dans l’état civil.

Et ce qui est intéressant, c’est que ce sont des gains personnels : les facultés qui se développent, les idées qui prennent de l’ampleur, les sentiments qui deviennent plus profonds et plus raffinés, l’élévation de l’âme, mais tout en constituant un gain personnel, ces progrès ont aussi une dimension collective : des sentiments plus nobles ne sont pas uniquement égocentrés, ils prennent en compte l’existence des autres. Ainsi, l’empathie est un sentiment noble, puisqu’elle est une prise en compte et un partage des sentiments d’autrui, que ce soit sa peine, ou sa joie. Ce qu’il y a, donc, à gagner dans l’état civil, c’est une expansion de soi-même, puisqu’on ne vit plus enfermé dans son seul intérêt, et on devient capable d’agir pour des motifs qui se situent hors de soi, essayant de réduire la souffrance des autres, et prenant plaisir à les voir accéder eux-mêmes au plaisir, ou à la joie. On peut donc synthétiser ces progrès ainsi : l’état civil est le terreau dans lequel grandit l’homme, et cet homme est nécessairement un être intelligent, c’est-à-dire un être dont les actions sont orientées par sa raison, et pas seulement par ses seules pulsions physiques.

Une précision doit être ici apportée pour comprendre un détail dans cette première partie : Rousseau y mentionne la possibilité d’abus qui pourraient être le produit de l’état civil. Or on peut se demander comment il est possible d’abuser de cet état, tant la présentation qui en est faite semble au contraire insister sur les vertus qui peuvent y grandir. En réalité, si on observe les qualités citées par Rousseau dans ce premier paragraphe, on voit bien qu’il serait possible de détourner ces qualités, tout simplement en ne les mettant qu’au service de soi-même. Ainsi, l’intelligence et le raisonnement peuvent être utilisés à des fins de manipulation des autres, afin de les convaincre de se mettre au service des intérêts particuliers d’une personne, et non de la communauté. De même, le droit peut être détourné de l’intérêt collectif, par exemple quand on réclame à être protégé par la loi, mais qu’on refuse par principe de répondre de ses actes devant elle. Le déséquilibre des droits et des devoirs est une cause manifeste d’abus du droit. Il est donc intéressant de voir que Rousseau fait preuve de nuances dans la distinction qu’il met ici en place : il n’y a pas une frontière stricte, entre état de nature et état civil. Et entrer dans l’un, ce n’est pas sortir de l’autre. En réalité, ce sont deux polarisations, qui coexistent en chacun et entre lesquelles l’être humain oscille en permanence. Et cette porosité a pour effet que ce qui a l’air de relever de l’état civil peut parfaitement être mis au service de pulsions égocentriques typiques de l’état de nature.[1]

2 – Le buffet à volonté ? Ou le menu ? (pour un oral, on annoncera plutôt, ici, que Rousseau oppose deux formes de liberté)

Reste qu’on peut se demander ce qu’il y a à gagner à passer de la satisfaction des pulsions telle qu’elle peut être vécue dans l’état de nature à la vie plus raisonnable et sociable que promet l’état civil. Car il y a une perte dans le passage d’un état à l’autre. En effet, l’état de nature permet de profiter de tout ce qu’on peut saisir et consommer : comme rien n’appartient à personne, on peut tout prendre, et tout s’accaparer, sans limite. C’est une situation qui est proche de la jouissance, et qui provoque évidemment du plaisir. Rousseau en parle comme d’un droit, mais il faut ici préciser ce qu’il entend par là : ce n’est pas un droit institué, puisque dans l’état de nature, aucune institution ne peut instaurer un tel droit. C’est donc plus l’impression d’un droit qu’un droit à strictement parler : quand une ressource est là, devant soi, et qu’elle n’appartient à personne, puisque rien n’interdit de s’en emparer, c’est a priori qu’on a le droit de la prendre. Il faut donc comprendre le droit naturel comme une simple absence d’interdiction. Mais dans ce même paragraphe, Rousseau dégrise un peu celui qui serait un peu trop enthousiasmé par l’impression de grande liberté qu’une telle situation représente : cette liberté naturelle a des limites simples : ce sont les forces de celui qui l’exerce. Car, évidemment, si tout est en accès libre, puisque rien n’appartient à personne, alors le premier venu peut prendre n’importe quoi, y compris ce qui se trouve déjà dans la main d’autrui : il suffit pour cela d’être le plus fort. De même, pour conserver ce qu’on a saisi, il faut être plus fort que celui qui veut nous le prendre, puisque sans lois, rien n’interdit le chapardage. La notion de vol n’existe même pas, puisqu’on ne peut voler que ce qui appartient à quelqu’un d’autre, or dans cet état, il n’y a pas de propriété.

Ce n’est pas un hasard si la propriété est présentée, en fin de paragraphe, comme un des grands gains de l’état civil. Et Rousseau précise qu’il n’y a pas de propriété sans titre positif. « Positif » signifie ici « qui est ajouté à la nature », « qui fait l’objet d’une convention » reconnue par chacun au sein de la société. Une loi positive est donc une loi qui s’ajoute à la nature, et instaure un principe qui, sans elle, n’y existerait pas. On peut en déduire qu’il n’existe pas de propriété naturelle. C’est la raison pour laquelle il la distingue de la possession qui, elle, est possible à l’état de nature. Etre en possession d’un objet, c’est en effet l’avoir en main, en disposer. Mais ça ne donne pour autant aucun droit à le conserver : si  on nous le prend, on ne peut se tourner vers aucune autorité communément reconnue pour réclamer justice. Ainsi, puisque la possession de stupéfiants n’est pas autorisée par la loi en France, personne ne peut, a fortiori, prétendre être propriétaire de ce genre de substance. La loi se contentera de dire que telle personne a été arrêtée en possession de stupéfiants, mais elle ne lui en reconnaîtra pas la propriété. Raison pour laquelle on ne peut pas porter plainte si on se fait voler ce genre de chose. La possession n’est pas un droit, c’est un fait. La propriété est justement possible en état civil, car celui-ci s’accompagne de la création de lois et d’institutions faisant respecter ces lois. La propriété est donc un droit.

C’est pour cette raison qu’on peut distinguer deux types de liberté : d’un côté une liberté naturelle, qui est limitée par la force dont on dispose pour s’imposer aux autres, et qui est sans cesse remise en question par la coexistence avec les autres hommes. Cette liberté ne permet que la possession ; de l’autre la liberté civile, qui est une liberté protégée et instituée, qui ne dépend plus, dès lors, du bon vouloir des plus forts que soi, puisqu’eux aussi sont signataires de ce contrat commun qui protège chacun. On repère bien, dans la façon dont Rousseau analyse l’état civil, ce qui rend possible une telle liberté : vivre en état civil, ce n’est pas être soumis à une volonté étrangère à soi-même. Et ce n’est pas non plus être livré à l’appel de ses propres intérêts particuliers. L’état civil est une vie placée sous la règle de la volonté générale. Celle-ci est la voix de la raison, puisqu’elle permet de partager un jugement commun avec autrui, et de se mettre d’accord. Dès lors, obéir à la loi dictée par la volonté générale, c’est agir selon la volonté commune, qui est aussi, entre autres, la mienne.

Intérêt philosophique du texte

C’est dans le tout dernier paragraphe que l’intérêt philosophique du texte peut être pleinement compris. Parce qu’on aurait pu penser qu’après tout, les deux libertés distinguées dans le texte puissent se valoir, qu’elles constituaient deux formes de libertés qui pourraient coexister, et se compléter l’une l’autre. Mais ce n’est pas la position de Rousseau, et ces derniers mots le précisent sans ambiguïté : il n’y a que dans l’état civil qu’on est vraiment libre. L’état de nature en effet donne une impression de liberté, mais cette impression est due au fait que nos pulsions y trouvent satisfaction. Cependant, on n’est pas l’auteur de ses propres pulsions, dès lors leur obéir c’est agir selon une règle qu’on n’a jamais pris le temps de fixer soi-même. Ou alors il faudrait admettre que les animaux sont libres, ce qu’ils ne sont pas au sens où ils ne décident pas ce qu’ils font. Ils le font et ne pourraient pas s’empêcher eux-mêmes de le faire. On comprend donc que Rousseau désigne cette forme de liberté comme un esclavage. Agir librement, ce n’est pas se laisser simplement aller aux satisfactions immédiates. C’est agir en fonction de principes et d’objectifs qu’on s’est fixés de façon rationnelle et raisonnable. Ainsi, puisque la raison est partagée avec les autres êtres humains, agir conformément à la raison c’est agir librement, puisque c’est faire, exactement ce qu’on veut faire.

Une façon simple de comprendre cette nuance consiste à renverser la définition habituelle de la liberté : plutôt qu’affirmer qu’être libre, c’est faire ce qu’on veut, mieux vaut considérer qu’être libre, c’est vouloir ce qu’on fait.


[1] Si on voulait donner un exemple de ce genre « d’abus » de cette nouvelle condition, on pourrait évoquer le concept de « devoir conjugal » tel qu’il a été imposé aux femmes, afin que celles-ci se montrent sexuellement serviables envers leur mari. Cette notion de « devoir », qui prenait l’apparence d’un ordre institué, donc censé être juste, était en réalité un détournement de cet état dans un strict objectif de domination des femmes, et de leur mise à disposition des hommes. Ce faisant, au lieu de dominer les pulsions masculines, un tel soi-disant « devoir » est en fait une façon de ne pas les contrôler du tout, de leur laisser libre-cours, et de les satisfaire de façon égocentrée, les « sentiments » manquant, ici, de noblesse. Une telle disposition, qui fait passer pour civile ce qui n’est qu’une impulsion physique naturelle, est en réalité une « dégradation » de l’état de nature, car celui-ci n’est pas mauvais en lui-même, il est moralement neutre, alors qu’une telle institution se situe moralement en deçà de la neutralité naturelle : il n’y a dans une telle organisation sociale aucune élévation, aucun usage civil de la raison.


Illustrations :

Lost, et the Walking dead, séries politiques.

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