On l’avait dit en introduction, la question de la technique, au-delà des problèmes de gestion des inventions et de leur commerce, pose le problème de la place de l’homme dans le monde. On l’a vu, selon la manière dont on considère l’activité technique de l’homme, on va définir très différemment cette place. Si on considère la nature comme supérieure et mystérieuse, l’homme devient une créature parmi les autres, mais si on voit dans la nature un simple mécanisme géant, et si l’homme est le seul être à l’étudier alors il en devient le maître et le possesseur. On l’a vu, la réalité est plus complexe, car si l’homme a effectivement un véritable pouvoir sur la nature, on ne peut pas affirmer que l’homme ait pour autant acquis dans ce pouvoir la certitude d’atteindre le bonheur. Prométhée nous l’avait déjà montré : ce pouvoir est un feu, et si l’homme en dispose, rien ne dit que ce feu ne lui échappe pas en partie.
Tout le montre : la technique est potentiellement dangereuse. Or le danger implique la prudence, et on l’a vu, l’homme technicien n’est pas spontanément prudent, car la technique, si elle provoque la peur chez certains, suscite aussi et avant tout un grand enthousiasme. Dès lors, si l’homme obtient une place particulière dans la nature à cause de sa technicité, ce n’est pas celle des pleins pouvoirs. On l’a vu, se considérer comme dépositaire d’un savoir absolu constituerait pour l’homme une impasse. Par contre, si la technique fait partie de l’essence de l’homme, on n’a pas à en déduire que ce soit nécessairement sa seule caractéristique, ni la plus grande. Ainsi, si l’homme gagne une place spécifique, c’est la responsabilité. Mais on n’est pas responsable seul. On l’a vu, certains considèrent que c’est devant la nature qu’on aurait à répondre de nos actes. Mais pour répondre, il faut être questionné et la nature ne questionne pas. Aussi peut on dire que ce n’est pas devant la nature que l’homme est responsable, mais envers le seul être capable de lui demander des comptes : lui-même. Finalement, ce n’est pas tant envers la nature que la technique positionne l’homme, mais envers lui-même.