Half life

In Bonus, Désir, Video
Scroll this

Puisque j’ai lancé mes élèves sur la lecture de ce passage du banquet au cours duquel Aristophane fait à son tour l’éloge de l’amour en reprenant le mythe des androgynes, profitons en pour montrer que ce mythe, comme bien d’autres d’ailleurs (et cela participe sans doute du fait qu’encore aujourd’hui, ce qu’en disait Aristote dans sa Métaphysique (« aimer les mythes est, en quelque manière se montrer philosophe, car le mythe est composé de merveilleux« ) demeure valable), vit encore en nous et irigue nos représentations de l’amour.

The Dø est un duo dont les chansons simples (parce que ramassées sur une sorte d’essentiel) gambadent depuis quelques mois déjà sur « les ondes » et dans les oreilles. A voir et écouter le binôme musical, on se dit que c’est un peu comme si tout se construisait sur la rencontre de deux principes. La chanteuse (Olivia Bouyssou Merilahti) est franco-finlandaise, lui (Dan Levy) fait des musiques de films ainsi que de la chanson, le nom même du duo est l’association de leurs deux initiales (pourquoi ne pas faire simple ?), et ça tombe bien, puisqu’ils obtiennent ainsi la note fondamentale de la gamme, ce qui est plutôt de bon augure pour des musiciens.

Dès lors, on ne s’étonnera pas de voir que sur leur dernier clip vidéo, c’est le mythe de la séparation originelle et de la quête de l’autre qui est mis en scène, et ce, comme pour le reste de leur travail, de la manière la plus sobre qu’on puisse imaginer : ce sont simplement ces fameuses moitiés d’orange qui vont être l’interface de la rencontre amoureuse, ou de son échec, fréquent. A mi-chemin de la vision pleine d’espoir du mythe et de la conception philosophique souvent désenchantée de l’amour (dont Lucrèce est une assez bonne illustration, puisqu’il est finalement un des premiers à avoir développé cette idée que l’amour est aveugle), on erre en territoire inconnu, avec le vague sentiment que quelque chose de nécessairement familier y rode, porteur de la même impatience et de la même crainte de la soif inétanchée. Les tentatives de reconstitution des paires se multiplient, rares sont les élus, mais leur attraction est, avant même de se réaliser, ce vers quoi tout semble tendre, comme un horizon.

Sans être la forme la plus aboutie de ce mythe (mais la forme la plus aboutie demeure certainement la version qu’en propose Platon), on trouvera là un simple moyen de se faire sienne l’image, avec toute l’efficacité de suggestion que cela permet. Au delà, on rappellera qu’il est toujours bon de remonter aux sources de nos représentations. La lecture du Banquet demeure une expérience qui pourrait être tentée (toutes les formes d’incitation à la lecture auront été essayées !).

Référence : The Dø – At Last

Ceux qui ont du mal avec ce qu’ils percevront comme peut être un peu mièvre, emprunté ou « arty » pourront, en désespoir de cause, se rabattre sur le film Hancock qui, derrière un scénario relevant de la grosse blague (en résumé : un super-héros alcoolique sème la panique sur Los Angeles tout en faisant son boulot, tout ça parce qu’il est en plein désespoir amoureux sans le savoir). Se glisse discrètement, à l’intérieur de cette farce réjouissante, une histoire d’amour immémorielle, défiant le temps (et pour cause), mais s’imposant aux protagonistes par son caractère impérieux, comme si ces lois de l’attraction constituaient le sommet des règles de l’univers, y compris pour les plus grands des êtres qui le peuplent. Et mine de rien, derrière une mise en scène un peu (lisez ces deux mots comme l’un des plus gros euphémismes qu’il vous ait été donné de lire) démonstrative, le film ne se sort pas trop mal de cette histoire d’amour : comme chez les androgynes, on saisit vite que pour aimer, il faut se perdre. Et comme chez Blaise Cendrars, le héros devra faire sienne ce principe : quand on aime, il faut partir. Ce que montrait Platon, c’est qu’en fait on aime déjà avant d’aimer, et que c’est en se perdant qu’on se retrouve. On semble assez bien faits pour les déchirements.

Please follow and like us:

3 Comments

  1. Plus que la relation amoureuse, c’est la part féminine et masculine inscrite en chacun de nous qui m’intéresse….je suis à la recherche de textes(mythologie, philosophie…)vidéos ou autre qui traiteraient de ce thème.
    Merci pour le retour

Submit a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.