Ecran noir

In 24 fois la vérité par seconde, Bonus, Douglas Sirk
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En 2008, à l’occasion du Black History Month (le mois de février est consacré, depuis 1976, à la célébration de la culture noire aux Etats-unis), Time Magazine et CNN ont établi une liste de 25 films constituant autant d’étapes dans la visibilité des noirs aux USA. La liste commence avec Body and Soul, d’Oscar Micheaux, (pionnier du cinéma américain, mais aussi réalisateur noir, mettant ici en scène Paul Robeson, athlète et, donc, acteur lui aussi noir; Body and Soul, on s’en doute, sera reçu avant tout comme un film noir, et critiqué comme tel) et s’achève avec I am a legend, (joué presqu’intégralement par un Will Smith dont plus personne ne voit qu’il est noir). Entre ces deux dates, une histoire dont les pages les plus marquantes sont alignées ici, avec ses progrès et ses effondrements (après tout, comment penser qu’il y a plus de trente ans entre Body and Soul et The Defiant Ones (La chaine, mettant en scène deux prisonniers en cavale, liés par une paire de menottes, dont l’un est noir et l’autre « raciste ordinaire », témoin d’une époque qui n’en a décidément pas fini avec ses aveuglements) ?), en traversant la période des films de blaxploitation, véritable cinéma communautaire qui a fondé un genre à part entière, et une culture à part, désormais tout à fait intégrée comme un élément parmi d’autre de la culture américaine. Voici donc cette liste, qui constitue une bonne filmographie complémentaire à Mirage de la vie, si on veut voir ce film comme l’un des pionniers de la représentation des noirs à l’écran, ou mieux, comme la mise en scène de l’impossibilité de cette représentation :

• Body and Soul (Oscar Micheaux, 1925)
• Hallelujah! (King Vidor, 1929)
• Judge Priest (John Ford, 1934)
• Imitation of Life (Mirage de la vie, Douglas Sirk, 1934)
• God’s Step Children (Oscar Micheaux, 1938)
• The Duke Is Tops (William L. Nolte, 1938)
• Gone With the Wind (Autant en emporte le vent, Victor Fleming, 1939)
• The Blood of Jesus (Spencer Williams, 1941)
• The Jackie Robinson Story (Alfred E. Green, 1950)
• Native Son (Richard Wright, 1951)
• Carmen Jones (Otto Preminger, 1954)
• The Defiant Ones (La Chaine, Stanley Kramer, 1958)
• In the Heat of the Night (Dans la chaleur de la nuit, Norman Jewison, 1967)
• Sweet Sweetback’s Baad Asssss Song (Melvin van Peebles, 1971)
• Lady Sings the Blues (Sidney J. Furie, 1972)
• Cooley High (Michael Schultz, 1975)
• Killer of Sheep (Charles Burnett, 1977)
• Richard Pryor Live in Concert (Jeff Margolis, 1979)
• A Soldier’s Story (Norman Jewison, 1984)
• Do the Right Thing (Spike Lee, 1989)
• Boyz N the Hood (La loi de la rue, John Singleton, 1991)
• Eve’s Bayou (Le secret du Bayou, Kasi Lemmons, 1997)
• Bamboozled (The very black show, Spike Lee, 2000)
• Madea’s Family Reunion (Tyler Perry, 2002)
• I Am Legend (Je suis une légende, Francis Lawrence, 2007)

Devons nous, français, faire les malins ? On aurait sans doute du mal : notre propre histoire cinématographique est plus pauvre encore en titre donnant un premier rôle à des acteurs ou actrices noirs, et le plus souvent, c’est en tant que tels qu’ils sont mis en scène, la couleur de la peau semblant constituer un obstacle définitif à la représentation d’une humanité universelle. Mais nous ne connaissons pas mieux l’histoire de ce cinéma de genre américain : la plupart des titres cités ci-dessus nous sont inconnus, l’absence de titre d’exploitation français en disant long sur le peu d’intérêt qu’on leur porte. De toute la liste, Mirage de la vie est de loin le plus étudié de tous chez nous. On se souviendra que c’est un film tourné dans une amérique encore très mal à l’aise avec la représentation des noirs à l’écran, et qu’il a pour moteur central l’effacement de son personnage principal, en raison même de sa couleur.

En France, c’est du côté du documentaire qu’on trouvera, en revanche, l’apparition des hommes noirs, en particulier chez Jean Rouch, un des pionniers dans la représentation de l’altérité.

Pour une lecture plus confortable de cette liste, on peut se rendre sur le site du Time Magazine, qui propose un lien pour chaque film (c’est en anglais, évidemment) et un texte d’accompagnement : La liste des 25 films Le commentaire

Illustration extraite du film de Stanley Kramer, La chaine (The Defiant ones, 1958). Si l’entraide entre les deux héros (joués ici par Sidney Poitier (immense acteur, incontournable pour ceux qui s’intéressent à la question raciale au cinéma) et Tony Curtis est ici visible à l’image, elle est en fait le résultat d’un long processus dont le film montre le difficile déroulement, confrontant pour de bon le spectateur avec le racisme, ce que le cinéma avait jusque là habilement évité de mettre en scène frontalement.

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