Un peu de beauté plastique

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« Un peu de beauté plastique
pour effacer nos cernes,
de plaisir chimique
pour nos vies trop ternes.
Que nos vies aient l’air d’un film parfait »
Elli Medeiros & Jacno – Amoureux solitaires

Exposition DYNAMO,
au Grand Palais,
du 10 Avril au 22 Juillet 2013

Après s’être confronté à la présence équivoque des oeuvres de Ron Mueck, si on craignait d’avoir dépassé les doses de réalisme prescrites, l’antidote se trouve peut être au Grand Palais, puisque celui ci expose une rétrospective couvrant un siècle d’oeuvres appartenant à ces courants qu’on appelait art optique (Op’ Art pour les intimes) ou art cinétique, selon que l’oeuvre fût statique (des tableaux, des sculptures, des installations inertes) ou en mouvement (machines, mobiles, lumières en mouvement, néons clignotants…). Les responsables du marketing étant aussi malins que les commissaires d’exposition (Serge Lemoine en l’occurrence), cette manifestation a été baptisée Dynamo.

Ici, tout n’est que géométrie, jeu avec les proportions, leurres de perspective et, quasiment, hypnose. Il s’agit avant tout d’impressionner l’oeil, au sens où on frapperait la rétine de dynamo2-3730160752sollicitations tellement puissantes qu’elle en serait durablement marquée, et que sur cette persistance rétinienne viendraient se surexposer de nouveaux motifs, formant avec le premier des trames, des mouvements, des tensions initiant encore de nouvelles apparitions, et ce à l’infini.

Ici, artistiquement, c’est un peu comme si on faisait table rase de siècle de représentation pour en revenir aux fondements de la perception. Au commencement était l’oeil. Et comme pour mieux signifier ce retour, on remarquera à quel point la cible (qui n’est jamais qu’un oeil qui se donnerait à voir) est un motif récurent dans ces courants. On a un peu l’impression d’en revenir au moment où chez Descartes, seul le cogito a été mis en évidence, encore dépossédé des objets qui le hantent, mais déjà en quête de perceptions, visant ce quelque chose qui doit bien être d’une façon ou d’une autre s’il veut être intentionnel.

Une exposition d’op art, ça peut vite ressembler à ce qu’on s’imaginerait être une gallerie d’art qui serait tenue par Léonard & son disciple, en association avec Geo Trouvetou et le Professeur Tournesol. Des mobiles métalliques par ci, des tableaux croisant des spirales de telle sorte qu’ils semblent être en mouvement tout en étant parfaitement statiques. Le plus souvent, c’est dans la chambre noire du regard que l’oeuvre se constitue pour de bon, au delà des indices épars qu’elle donne à voir. Mais derrière l’impression générale d’assister à un concours Lépine dans les années 60, se joue quelque chose de bien plus essentiel : souvenons nous des Ménines de Velasquez et de l’incroyable invitation à laquelle ce tableau convie celui qui se pose devant lui. Ici, quelque chose de semblable se joue, puisque l’oeuvre n’existe que si quelqu’un la regarde. Son processus de présence au monde nécessite l’oeil humain, parfois la vision binoculaire, quand il n’est pas nécessaire de porter des lunettes spécifiques pour pouvoir la saisir des yeux.

C’est que l’op art et ses déclinaisons sont héritiers du Futurisme, ce mouvement artistique fondateur dans l’attention qu’il portait au mouvement, à la vitesse, à la puissance. Marinetti avait rédigé le manifeste de ce mouvement en recourant à des images tonitruantes [Note du Moine Copiste : je livre ici les onze propositions du manifeste, dans leur intégralité, y compris sa proposition n°9, qui contient des affirmations pour le moins déconcertantes. Autant dire que si Tellement vrai (qui est l’émission la plus citée par mes élèves comme étant « celle qu’ils regardent couramment ») avait existé en 1909, elle n’aurait pas râté le « clash » et le « buzz » que ce « mépris de le femme » provoqua].

« 1. Nous voulons chanter l’amour du danger, l’habitude de l’énergie et de la témérité.

 2. Le courage, l’audace et la révolte seront les éléments essentiels de notre poésie.

 3. La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, le pas de course, le saut mortel, la gifle et le coup de poing.

 4. Nous affirmons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive … une automobile rugissante qui semble courir sur la mitraille est plus belle que la Victoire de Samothrace.

 5. Nous voulons célébrer l’homme qui tient le volant dont la tige idéale traverse la Terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite.

 6. Il faut que le poète se prodigue avec ardeur, faste et splendeur pour augmenter la ferveur enthousiaste des éléments primordiaux.

 7. Il n’y a plus de beauté que dans la lutte. Aucune œuvre d’art sans caractère agressif ne peut être considérée comme un chef-d’œuvre. La poésie doit être conçue comme un assaut violent contre les forces inconnues pour les réduire à se prosterner devant l’homme.

 8. Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles! … Pourquoi devrions-nous nous protéger si nous voulons enfoncer les portes mystérieuses de l’Impossible ? Le Temps et l’Espace mourront demain. Nous vivons déjà dans l’absolu puisque nous avons déjà créé l’éternelle vitesse omniprésente.

 9. Nous voulons glorifier la guerre – seule hygiène du monde -, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées pour lesquelles on meurt et le mépris de la femme.

 10. Nous voulons détruire les musées, les bibliothèques, les académies de toute sorte et combattre le moralisme, le féminisme et toutes les autres lâchetés opportunistes et utilitaires.

 11. Nous chanterons les foules agitées par le travail, par le plaisir ou par l’émeute : nous chanterons les marées multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes ; nous chanterons la ferveur nocturne vibrante des arsenaux et des chantiers incendiés par de violentes lunes électriques, les gares goulues dévorant des serpents qui fument, les usines suspendues aux nuages par des fils tordus de fumée, les ponts pareils à des gymnastes qui enjambent les fleuves étincelant au soleil comme des couteaux scintillants, les paquebots aventureux qui flairent l’horizon, les locomotives à la poitrine large qui piaffent sur les rails comme d’énormes chevaux d’acier bridés de tubes et le vol glissant des avions dont l’hélice claque au vent comme un drapeau et semble applaudir comme une foule enthousiaste.

 C’est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd’hui le Futurisme parce que nous voulons délivrer l’Italie de sa gangrène d’archéologues, de cicérones et d’antiquaires … »

F. T. Marinetti 
Publié par le Figaro le 20 février 1909.

S’il fallait positionner l’art cinétique par rapport à ce futurisme fasciné par les mécaniques tapageuses de la fin du dix-neuvième siècle, on pourrait dire qu’il en constitue une déclinaison apaisée, même si elle demeure concentrée sur le principe du mouvement. L’art cinétique serait au futurisme ce que la rotation lente de la station spatiale de 2001, l’Odyssée de l’espace est aux accrobaties cinétiques de Transformers (cette série de films, si on la débarrassait de tout son fatras de personnages et de récit qui veut la rattacher à ce qu’on appelle classiquement le « cinéma », pourrait d’ailleurs tout à fait constituer une illustration du manifeste futuriste. A défaut, on peut se rendre à la gare de Haute Picardie, et regarder les TGV la traverser à pleine vitesse; Marinetti aurait adoré).

En 1963, le tract distribué par le GRAV (le Groupe de Recherche en Art Visuel) à la biennale de Paris semblait reprendre les principes du Futurisme, mais appliqués à un monde apaisé, en recherche d’expériences mouvantes, mais nettoyées de la rage qui avait inauguré la première moitié du siècle. Ce tract s’intitulait « Assez de mystifications », et on pouvait y lire le texte suivant :

« Nous voulons intéresser le spectateur, le sortir des inhibitions, le décontracter.
Nous voulons le faire participer.
Nous voulons le placer dans une situation qu’il déclenche et qu’il transforme.
Nous voulons qu’il s’oriente vers une interaction avec d’autres spectateurs.
Nous voulons développer chez le spectateur une forte capacité de perception et d’action. »

Finalement, si comme l’affirme Descartes dans ses Principes de la philosophie, « l’univers entier est une machine où il n’y a rien du tout à considérer que les figures et mouvements de ses parties », alors ces oeuvres sont autant d’univers à part entière, autant de mantras, autant d’univers-images fractales de l’univers.

S’il fallait trouver des successeurs à l’op art et  à l’art cinétique, c’est sans doute du côté des installations vidéo contemporaines qu’il faudrait les chercher. Procédés optiques diffusés sur écrans, projections modifiant la topologie des lieux sur lesquels elles sont plaquées. On peut imaginer que le jeu vidéo trouve là une des premières portes de sortie vers la vie adulte, et la possibilité de divorcer d’avec le récit cinématographique tel qu’il l’imite le plus souvent.

Il suffit donc de laisser se faire l’oeuvre en soi et par soi, d’intégrer le dispositif au point de se couler en lui afin d’en constituer un élément.

Par chance, les videos de présentation de l’exposition du Grand Palais ne présentent pas un grand intérêt. C’est une chance parce que cette lacune permet de faire un peu de promotion à un court métrage réalisé lors de l’exposition que le MOMA (le Musée d’Art Moderne de New-York) consacra en 1965 à l’Op art. Le détail qui fait de ce documentaire un film pas tout à fait anodin, c’est que Brian de Palma apparaisse à son générique, tant à la direction qu’à la photographie. Le lien entre l’art optique et le cinéma est évident, puisque le procédé même du cinéma fait intervenir les mêmes phénomènes optiques que le septième art, et on sait que de Palma est un de ces réalisateurs qui, en héritiers de Hitchcock, utilisent ces procédés, et en font même parfois le noyau de leurs oeuvres (on pense à Snake eyes, qui n’est que la progressive fragmentation du stupéfiant plan séquence d’introduction, et plus encore à Blow out, qui reprend le mouvement du Blow up d’Antonioni, mais à l’envers). Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si de Palma trainait une caméra au MOMA lors de cette exposition à laquelle le Grand Palais fait écho aujourd’hui.

Ce court métrage s’intitule The Responsive eye. Et certains ont eu la bonne idée de le mettre en ligne :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=vaUme6DY8Lk[/youtube]

Ajoutons que le site du MOMA consacre une de ses pages à cette exposition : http://www.coolhunting.com/culture/moma-1965-the-r.php

Toutes informations sur l’exposition Dynamo du Grand Palais :

http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/dynamo

 Illustrations :

Christian Megert, Zoom in an endless room, 1972-2000. Miroir, métal, moteur, fluo, bois 146 × 152 × 40 cm. Ingolstadt, Stiftung für Konkrete Kunst und Design, Berlin, galerie Volker Diehl. Inv. 1972-200M. © Collection de l’artiste.

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