Usine d’aliénés

Comme souvent, Marx va au-delà de la simple analyse. Parce qu’il pratique très volontiers l’ironie, il met à jour ce qui se tient, larvaire, sous nos yeux, dans les mécanismes humains de notre bon vieux monde. Ce qui suit semble être un regard extrêmement désillusionné sur le monde du travail. Mais peu à peu, derrière le tableau sombre des relations entre l’employé et l’entreprise pour laquelle il travaille on devine ce que pourrait être le travail s’il n’était pas organisé de façon aliénante. Quand on réfléchit à la plupart des sujets portant sur le travail, il y à là des ressources importantes, suffisamment approfondies et nuancées pour pouvoir alimenter plusieurs parties de cette réflexion. Ici, c’est dans le cadre du sujet, Le travail divise-t-il les hommes ? que nous faisons référence à cet extrait.

En quoi consiste l’aliénation du travail ?

D’abord dans le fait que le travail est extérieur à l’ouvrier, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à son essence, que donc, dans le travail, celui-ci ne s’affirme pas, mais se nie, ne se sent pas à l’aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais mortifie son corps et ruine son esprit. En conséquence, l’ouvrier n’a le sentiment d’être auprès de lui-même qu’en dehors du travail, et, dans le travail, il se sent en dehors de soi. Il est comme chez lui quand il ne travaille pas et, quand il travaille, il ne se sent pas chez lui. Son travail n’est donc pas volontaire, mais contraint ; c’est du travail forcé. Il n’est pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. Le caractère étranger du travail apparaît nettement dans le fait que, dès qu’il n’existe pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste. Le travail extérieur, le travail dans lequel l’homme s’aliène, est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin, le caractère extérieur à l’ouvrier du travail apparaît dans le fait qu’il n’est pas son bien propre, mais celui d’un autre, qu’il ne lui appartient pas lui-même mais appartient à un autre… L’activité de l’ouvrier n’est pas son activité propre. Elle appartient à un autre, elle est la perte de soi-même.

                                                         Karl Marx, Manuscrits de 1844


En illustration, un photogramme tiré du film La Vie rêvée des anges, d’Eric Zonca (1998). On y éprouve l’aliénation provoquée non seulement par le travail, mais aussi par le monde qu’il faut concevoir exprès pour qu’on puisse y employer la majeure partie de l’humanité.

Please follow and like us:

Passe-temps

Sur le tas

Que la joie demeure

Leave a reply:

Your email address will not be published.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Site Footer