Est-ce la culture qui fait l’homme ?

Puisque l’année touche à sa fin, et que nous travaillons en classe sur quelques sujets, partageons les résultats de cette réflexion collective, sous forme de plans un peu approfondis. Précisons que le principe, c’était de faire avec « les moyens du bord ». N’attendez donc pas le traitement parfait (aucun ne l’est), mais une construction logique, fondée sur l’analyse du sujet, déterminant les différentes dimensions de la question posée. Et comme souvent, il s’agit « tout simplement » de faire se succéder, dans un ordre malin, les différentes thèses qu’on peut concevoir sur ce sujet. Deux réponses s’imposent : si ce n’est pas la culture qui fait l’homme, on peut supposer que ce soit la nature qui le fasse. Voila qui nous fait déjà deux parties. De quoi assurer quelque chose comme un 14/20 si on alimente correctement l’argumentation. Mais si on veut aller chercher les cinq ou six points supplémentaires, il va falloir être plus malin, et montrer dans un troisième temps qu’il n’y a pas pas de raisons d’opposer nature et culture, que ce qui est central ici, c’est le fait que l’homme soit indéfiniment inachevé. Ca nous permettra aussi de lever un aspect important du problème : comment concevoir le fait que l’homme doive être « fait », sans pour autant concevoir un modèle unique pour l’humanité. Bonne nouvelle, la culture étant par principe diversifiée, on pourra montrer que la culture ne fait pas l’homme, mais les hommes. Voila à quoi on doit aboutir dans 3 parties, constitués chacune de 3 paragraphes, plus deux transitions, 1 introduction et 1 conclusion. Rendez-vous, donc, dans 13 paragraphes.

Introduction :  

A priori, l’humanité de chaque être humain relève de l’évidence et personne n’a à passer de test pour être reconnu comme humain. Pourtant, si chacun appartient bien à la même espèce, l’humanité ne peut pas non plus se réduire à une simple appartenance génétique commune, car on n’appartient pas au genre humain comme le chat appartient à l’espèce des chats. Etre humain, on le sait, c’est aussi devoir le devenir. Ainsi, si d’un côté on peut considérer que la nature nous fait hommes dès la naissance, la culture, elle, semble nous indiquer que la nature ne suffit pas, et que l’humanité doit être acquise par un constant travail effectué sur soi-même. Mais alors se posera un nouveau problème : si la nature est unique, la culture, elle, s’établit toujours selon le principe de la multiplicité. Ainsi, si la nature fait un seul et même homme, la culture, elle, semble devoir fait non pas l’homme, mais les hommes. Nous serons donc amenés à évaluer le rôle de la nature dans la production de l’être humain, avant de montrer à quel point la culture est nécessaire pour le créer. Finalement, il s’agira de se demander si l’unité même de l’humanité ne se trouve pas dans sa diversité culturelle.

1ère partie : C’est la nature qui fait l’homme

A – Le plus élémentaire des arguments, ici, consiste à montrer qu’humain, on l’est avant tout génétiquement, biologiquement, matériellement. Ainsi, on l’est dès la naissance, et on peut jouer ici sur le fait que le mot « naissance » et « nature » ont une même racine étymologique. On peut considérer qu’on est humain dès le départ, avant même que la culture fasse son oeuvre.

B – Voir en l’humanité une qualité naturelle permet d’éviter qu’on se demande quels êtres sont humains, et lesquels ne le sont pas. Remettre en question l’humanité des autres, leur demander d’en faire la preuve en faisant la preuve d’une culture suffisante, c’est toujours commettre une faute. L’ethnocentrisme, dans ses formes les plus appuyées, a consisté justement à prendre de haut des hominidés en les considérant comme trop peu « développés » pour être reconnus comme pleinement humains. On sait quels sont les présupposés de telles « réflexions » : dominer, asservir. Si la morale consiste à reconnaître en l’autre homme une fin en soi et non un moyen, il y a dans le fait de conditionner l’humanité de l’autre homme à une somme de tests à réussir, une faute morale.

C – C’est parce que l’humanité est naturelle que la question de sa reconnaissance ne se pose même pas : c’est inconditionnellement et immédiatement que cette reconnaissance se fait. D’ailleurs, toutes les entreprises de déshumanisation s’orchestrent autour de dispositifs complexes qui, en fiait, sont des aveux de l’humanité de ceux qu’il s’agit de détruire. Si on est humain inconditionnellement, il faut qu’on le soit naturellement, car la nature est un absolu. C’est quand on en fait une qualité culturelle, et qu’on la soumet donc à un critère relatif qu’on relativise aussi, par la même occasion, l’humanité. On semble donc fondé à affirmer que c’est la nature qui fait l’homme. 

Transition 

Cependant, si il y a bien une humanité qui est inaliénable, biologiquement fondée, demeurent deux limites à notre thèse : tout d’abord, la biologie distingue autant l’homme des autres espèces qu’elle le ferait du chat, du pou ou du géranium. D’autre part, il n’y a que de l’homme dont on puisse dire, en observant son comportement, qu’il est parfois inhumain. Si un tel jugement ne remet pas en question l’appartenance biologique de l’individu à son espèce, il semble affirmer, en revanche, qu’il y a une autre humanité qui, elle, réclame un effort pour être intégrée. Un effort qui, on va le voir, relève de la culture. 

2ème partie : C’est la culture qui fait l’homme

A – Que serait un homme sans culture ? Les enseignement des enfants sauvages

Sans se focaliser sur le cas, connu, de Victor de l’Aveyron, dont le diagnostic le qualifiant d’enfant sauvage est remis en question, on sait qu’il y a eu des cas d’enfants qui, pour des raisons diverses, ont échappé à toute forme d’éducation. On sait aussi les séquelles que l’isolement, la mise au ban, laissent dans le développement personnel de l’enfant. La notion même de « développement personnel » est intéressante, car si, livré à soi-même, on est d’emblée un individu, en revanche, il faut un effort pour devenir une personne. C’est précisément ce à quoi n’accèdent pas les enfants sauvages, tant que d’autres hommes ne les prennent pas en charge. Le principe même de cette humanisation, c’est l’éducation, qui consiste précisément à ajouter à la nature première de l’homme, qui est innée, une « couche » de culture qui, elle, relève de l’acquis. Sans cet acquis, il n’y a pas d’humain digne de ce nom, au-delà de la simple appartenance à l’espèce. 

B – Il faut se demander ce qu’amènent les acquis de la culture, en quoi ils sont véritablement humanisants. Or sur deux points au moins, ils sont déterminants pour l’homme. Le premier point, ce sont les savoirs, qu’on peut subdiviser en deux catégories : les savoir-faire tout d’abord, qui sont cruciaux, puisque l’homme, sans techniques, ne peut survivre (cf mythe de Prométhée), son corps ne pouvant, seul, et la nature ne pouvant, telle quelle, subvenir à ses besoins. Les connaissances, d’autre part, qui constituent le cadre général, le monde culturel dans lequel l’homme baigne. Or ce qui détermine l’homme, c’est justement ce double mouvement de prise de distance avec la nature, qui fait qu’il vit, lui, dans ce qu’il appelle « le monde », c’est à dire une construction intellectuelle, spirituelle, bâtie par dessus la nature : d’une part parce qu’il la transforme (on reconnait là l’action de l’homme (cf La scène finale de La Planète des singes)), mais aussi parce qu’il en parle (rôle du langage, tout à fait particulier chez l’homme puisqu’il n’est pas instinctif, ni universel, mais consiste en langues particulières et conventionnelles)

C – La culture est déterminante, aussi, en terme de comportement. L’homme n’est pas naturellement sociable. La vie avec les autres êtres humains réclame de sa part un effort, à tel point qu’il doit apprendre à cohabiter avec ses semblables, qu’il doit apprendre à reconnaître comme ses semblables. D’ailleurs, si en 1 on avait dit que la reconnaissance de l’humanité d’autrui devait se fonder sur une conception de l’humanité comme naturelle, on sait bien que la reconnaissance des autres, elle, n’est pas naturelle. L’enfant est tout d’abord égocentrique, et même solipsiste : il n’a pas conscience de l’existence des autres en tant qu’autres « lui-même ». Les bases de la coexistence doivent être apprises. Les références, ici, peuvent tout autant se trouver chez Kant (en s’appuyant sur sa théorie de l’insociable sociabilité), chez Schopenhauer (fable des porc-épics), ou chez Freud (théorie de la socialisation des pulsions).

Transition

On semble donc fondé à affirmer que c’est bien la culture qui fait l’homme, puisque de toute évidence désormais, ce que nous appelons, pleinement, « humanité », ne peut exister qu’à condition qu’une construction supra naturelle soit effectuée sur l’homme, le transformant, le construisant de façon artificielle, de sorte qu’on puisse dire de lui qu’il fait preuve d’humanité, c’est à dire qu’il donne des signes non évidents de son appartenance au genre humain, qui ne se réduit pas à l’appartenance à l’espèce. Reste un problème : comment la culture peut produire l’homme, au singulier, alors qu’elle est un principe multiple ? La culture n’existe pas au singulier. Il n’y a pas une culture, mais des cultures ? Où se trouve dès lors le principe d’unification des hommes si ce qui fait d’eux des hommes les différencie de plus en plus ? 

3 – La culture, qui est un processus naturel, est un principe partagé par tous les hommes, sous des formes différentes

A – Certes, la culture, en tant que principe différenciant les êtres humains, produit des formes distinctes, qui ne permettent pas de fonder une humanité uniforme, mais on peut pousser la logique un peu plus loin que ce que l’observation semble nous enseigner : derrière la diversité, il y a tout de même une unité. La culture, tout en distinguant les hommes, est aussi ce qui les unit, dans la mesure où, même si c’est de façon différente, tous les êtres humains sont cultivés. Les langues sont différentes, mais ils ont tous une langue. Les gastronomie sont différentes, mais ils cuisinent tous. Les normes architecturales et vestimentaires sont différentes, mais ils s’abritent et s’habillent tous. La culture est donc, au-delà des différences qu’elle provoque, un principe unificateur. Elle définit l’humanité dans son ensemble, et elle la fait. 

B – La culture, dans sa dimension technique, est naturelle à l’homme. 

La technique est sans doute, de toutes les facettes culturelles de l’être humain, celle dont on pourrait se dire, spontanément, qu’elle constitue une rupture avec la nature, dans la mesure où elle la transforme. Par extension, si on admet comme on l’a fait que l’homme, lui aussi, est naturellement un homme, on pourrait considérer que la technique puisse constituer une trahison de son humanité, puisqu’elle transforme cette nature première. Mais depuis Aristote, on sait qu’en réalité, la culture, y compris technique, est tout simplement naturelle à l’homme, dans la mesure où il est par essence incomplet, ce sont ses mains qui le montrent, qu’on peut considérer comme des « prises » libérées de toute fonction propre, sur lesquelles l’homme peut brancher des périphériques qui vont lui donner de nouvelles fonctions, et une nouvelle définition. On pourrait aussi penser à Bergson, définissant l’homme comme « homo faber », hominidé fabricateur, caractérisé par ses outils. On retrouve cette idée que la culture fait l’homme, qu’elle le fait artificiellement et de façon diversifiée, mais aussi universellement. 

C – L’homme est l’être qui se fait, précisément parce qu’aucune caractéristique, naturelle ou culturelle, ne le définit définitivement.

Ici, recourons à Sartre, puisque nous le maîtrisons (désolé pour les lecteurs qui ne viennent pas de la salle 317 du lycée Maupassant à Colombes). On peut dire les choses ainsi : l’homme n’a pas de définition. Evidemment, Sartre ne signifie pas ici que l’homme puisse être un poulpe ou une ortie. Sartre reconnaît évidemment le déterminisme biologique. Mais il pense aussi que, pour l’homme, aucun déterminisme n’est définitivement déterminant. Ainsi, pour prendre un déterminisme génétique : à la naissance, on est biologiquement de sexe mâle, ou femelle. Mais l’existentialisme (cf Simone de Beauvoir) insiste sur la dimension culturelle de la masculinité et de la féminité, préparant d’ailleurs les études sur le genre, le genre étant, finalement, la dimension culturelle dans laquelle se développe le sexe naturel. Ce n’est pas le tout de naître homme ou femme, encore faut-il construire l’homme ou la femme, et parfois l’homme et la femme qu’on sera. Et cela, c’est la culture qui le permet. Ainsi, on comprend que pour Sartre, l’homme se définisse en agissant, tant à titre individuel que collectif : en agissant, je me définis moi, mais je définis aussi l’humanité. Ca ne veut pas dire que chaque être humain sera identique à moi, mais que l’humanité se définit par sa plasticité, son aptitude à adopter des formes nouvelles. C’est dès lors la multiplicité de ces formes qui est la caractéristique de l’humanité, et non sa conformité. 

Conclusion : 

Ainsi, on se demandait si c’était la culture qui faisait l’homme, et on est en mesure de répondre que c’est bel et bien le cas. Mais il faut aussi ajouter que, pour autant, il ne s’agit pas d’opposer cette construction culturelle de l’homme au fait qu’on soit, aussi, naturellement humain. Ce qui apparaît, c’est que la culture est, pour l’homme, une seconde nature, et qu’il ne se dénature pas en se cultivant. Au contraire. Une seconde précision s’impose, à la suite de notre réflexion : en réalité, ce n’est pas l’homme qui est fait par la culture, tout d’abord, parce que « l’homme », ça n’existe pas. Ce qui existe, ce sont les hommes, et leur différence n’est pas une erreur de la culture, ni un laisser-aller. La culture, par définition, est multiple. Ainsi, il faudrait dire que s’il y a une véritable unité de l’humanité, elle est d’ordre biologique : nous appartenons tous à l’espèce humaine. En revanche, il n’y a pas de modèle de l’humanité, chaque homme a à se faire lui-même, et ce sans modèle. La culture fait donc l’homme, mais sans avoir de rôle modélisant. Au contraire, c’est de façon émancipatrice que la culture permet à l’homme de se faire, puisque finalement, c’est une multiplicité sans fin d’hommes singuliers qui constitue l’oeuvre de la culture. C’est donc bel et bien la culture qui fait les hommes. 


Toutes illustrations extraites du film L’Enfant sauvage, de François Truffaut (1970), qu’on ne saurait trop conseiller de voir, parce que si l’exemple des enfants sauvages est délicat à utiliser en dissertation, parce que trop sujet à controverse, en revanche, le film de Truffaut, lui, par sa délicatesse, par sa mise en scène, peut être envisagé pour lui-même, indépendamment de la référence à Victor l’enfant trouvé dans l’Aveyron. 

Dans le même ordre d’idée, il serait bon de voir le film de Michel Gondry, Human nature, qui se construit autour de la trajectoire de deux héros, l’une, écrivain, partant vivre dans la nature, l’autre, enfant livré à lui-même dans la nature, intégrant la vie citadine, sociable. Comme toujours chez Gondry, c’est brillamment mis en scène, et c’est comme si sous ses doigts, le cinéma retrouvait sa véritable nature, entre temps perdue.

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