Negan

In 24 fois la vérité par seconde, Bonus, Divers, Ford John, Notions, Politique, Séries, The Walking Dead, Violence
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Finalement, il se passe dans The Walking Dead un peu ce qui s’est peu à peu passé dans le western : peu à peu, l’ennemi se fait plus proche. Si au départ, pour les colons, l’ennemi c’était les indiens, peu à peu, ceux-ci disparaissent du paysage, pour ne laisser parfois d’eux-mêmes que quelques vestiges ou un souvenir des temps sauvages (Dans L’Homme qui tua Liberty Valance, à Capitol City, Peabody évoque en termes peu valorisants les indiens comme un équivalent des troupeaux de bisons dévastant tout sur leur passage pour de seules raisons de survie). Le western se passe très bien des indiens, puisque les colons n’ont pas besoin d’aller le chercher bien loin, leur ennemi : il se trouve parmi eux. Il ne se distingue plus par son apparence ou sa nature physique, mais par son comportement. 

On reconnaît le danger public au fait qu’il laisse totalement libre cours à son plaisir, et qu’il attend des autres qu’eux aussi se mettent au service de celui-ci. Ainsi, on découvre, immédiatement, dans le comportement de Liberty Valance, les signes de son appartenance à la catégorie de ces hommes qui n’ont pas d’autre loi que leur propre satisfaction, même si c’est au prix de l’asservissement des autres; et parfois aussi parce que c’est au prix de leur asservissement. Dès que la diligence dans laquelle voyage Ransom Stoddard est arrêtée par Valance et sa bande, on discerne nettement que ce n’est pas qu’une affaire d’argent. Autre chose est en jeu, qui concerne une sorte de volonté de toute puissance, de refus que quoi ce soit vienne faire obstacle à sa volonté. Valance veut ce qui a de la valeur, quelle que soit la forme de cette valeur. C’est évidemment l’argent et les bijoux, mais c’est aussi l’honneur de la femme dont il découvre qu’elle est veuve, et bien entendu la virilité de Stoddard. 

Il se trouve que le seul passager de la diligence à lui tenir un instant tête, c’est Stoddard. Ce faisant, celui-ci lui fait concurrence sur le terrain de l’aplomb viril, terrain sur lequel il refuse d’être concurrencé. Cette question de la virilité des uns et du caractère un peu féminin des autres sera d’ailleurs un enjeu tout au long du film. Il y a quelque chose d’ambigu chez Stoddard, qui fait de lui dans le monde qui est le sien un homme qui semble incomplet aux yeux des autres, et qui leur permet de se jouer de lui. Et sur ce plan, Valance et Doniphon sont comme larrons en foire quand il s’agit de faire tourner l’homme de loi en bourrique. 

Stoddard, physiquement, pourrait être de taille à prendre le dessus. Plus tard, il montrera sur Doniphon qu’il a un bon coup droit. Mais ce qui le distingue de Valance, c’est qu’il n’ose pas recourir à la force, ou qu’il y répugne, ce qui revient au même. Et c’est donc là qu’on trouve le signe distinctif de Liberty Valance : il ose tout, il ne se retient pas. La preuve : par deux fois, c’est le plus éveillé de ses deux complices qui l’arrête alors qu’il fait pleuvoir un déluge de coups sur sa victime. Une première fois pour épargner Stoddard, une seconde fois avant de laisser Peabody pour mort. 

On pourra développer cette thèse dans un autre article, mais à strictement parler, Liberty Valance est un pervers, c’est à dire un adulte qui se comporte selon des motifs qui sont théoriquement ceux qu’on voit à l’oeuvre chez les enfants. Il ne vise que son propre plaisir, mais à la différence d’un jeune enfant, il sait pertinemment quelles souffrances il provoque, et il jouit de ces souffrances. 

Autant dire qu’une fois qu’on a vu l’attaque de la diligence dans L’Homme qui tua Liberty Valance, on ne peut pas regarder la fin du dernier épisode de la saison 6 de The Walking Dead sans y voir un hommage au maître du genre qu’est John Ford. Evidemment, entre temps, on a changé de voiture et c’est un camping car qui a remplacé la diligence. Tout comme les indiens sont absents du film de John Ford, les morts-vivants sont laissés de côté dans une des scènes les plus profondément inquiétantes de la série. Les walkers sont une nécessité avec laquelle tout le monde a appris à composer (ceux qui n’ont pas appris ne sont désormais plus de ce monde, que ce soit sous une forme ou sous une autres), Mais le personnage de Negan, lui, n’a rien de nécessaire, et pourtant il imprime sa présence sur la totalité de la vie de ceux qui gravitent dans ses environs. On reconnaît chez lui les mêmes motifs que chez Valance, et ils partagent le même mode d’apparition nocturne, la même absence totale de limites, la même alternance de fureur et de grande sérénité et même de rire, la même volonté d’imposer sa volonté comme loi, la même identification par une arme qui leur est spécifique. D’une certaine manière, à travers Negan, Liberty Valance n’est pas mort. Mais comme dans la série post-apocalyptique la frontière entre le vivant et le mort est confuse, il n’est pas certain qu’il soit vivant pour autant. 

Le problème, c’est que Valance est rattrapé par la marée de loi et de forces de l’ordre qui vont se répandre sur le territoire étatisé de l’Amérique du Nord. Ses excès seront vite jugulés. Ce qui inquiète chez Negan, c’est le fait que la loi est derrière lui. C’est Rick, le shérif, qui est de l’ancien monde. Et on voit mal qui, sur ce territoire où n’importe qui, pourvu qu’il ait un revolver et des balles, peut s’accaparer les choses et les gens le temps qu’un plus fort que lui, ou un mieux armé, vienne le lui prendre, pourrait l’arrêter, si ce n’est une force plus grande encore, soit qu’on la lui impose de l’extérieur, soit qu’elle vienne, qui sait, de lui-même. 

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