Faites vos vœux, rien ne va plus

Puisqu’on a pas mal parlé, en classe, de Parcoursup’, et qu’on a essayé de ne pas tenir à ce sujet, uniquement des propos techniques, peu à peu s’est formée une réflexion autour du dispositif lui-même, de ce qu’il suppose. Depuis le 22 mais, ce à quoi on est confronté, c’est la mise en scène de ce dispositif. Il se trouve que j’ai la chance de travailler dans un lycée dont la salle des profs est un lieu de réflexion et de débats sur ces questions. Il se trouve aussi que mes collègues ont des relations, et que l’opportunité est apparue de glisser une tribune sur le site du Huffington Post, à propos de la façon dont les élèves de terminale, au lycée Guy de Maupassant de Colombes, le vivaient, ce dispositif. Le résultat, le voici. On peut aussi le lire sur le site du Huffpost, si on a envie d’une autre mise en page, ou de publicités


Depuis le 22 mai, élèves, parents et professeurs ont les yeux rivés Parcoursup. Dans les couloirs du lycée Guy de Maupassant, à Colombes, comme dans bien d’autres établissements, tant dans la cour de récré que dans la salle de professeurs, on s’inquiète de voir si peu d’élèves reçus à ce jour dans une formation l’année prochaine. Au-delà du résultat, nos doutes, plus profonds encore qu’auparavant, portent sur le principe même de ce dispositif, et ce que cela dit du rapport que notre pays entretient avec une partie de sa jeunesse.

 

Hula hup, Barbatruc!

Quand un groupe industriel ne peut plus assumer les casseroles éthiques qu’il traîne derrière lui, il change de nom. Désormais, les dispositifs gouvernementaux font de même. Ainsi, à la rentrée 2018, APB, dans un mouvement digne des meilleurs transformistes, tournait le dos un instant au public pour réapparaître sous sa nouvelle identité. On l’appellerait désormais Parcoursup. Avec lui, fini le hasard du tirage au sort. Désormais, c’est tout à fait volontairement que certains élèves seraient écartés des bancs des études qu’ils visaient. Adieu l’arbitraire, bienvenue à l’arbitrage. La sélection, désormais, serait préméditée, programmée. Des armées de microprocesseurs bardés de critères de sélection décréteraient, avec la neutralité inhumaine qu’on aime tant en eux, que tel étudiant n’étudierait pas, et qu’à tel autre en revanche, on ouvrirait toutes grandes les portes du savoir.

 

Derrière ce passage de l’indéterminé à la sélection sur critères, il y a une constante: il n’y a pas suffisamment de places pour accueillir tous ceux qui veulent étudier. Corollaire: ceux qui seront accueillis quelque part ne le seront pas nécessairement là où ils le souhaitent. Quoi qu’on puisse penser du baccalauréat, il constitue la porte qui ouvre sur les études supérieures. Pourtant, derrière cette porte pour un certain nombre de bacheliers, il y a le vide. C’était déjà le cas avec APB. Ce qu’inaugure Parcoursup, c’est une façon décomplexée de gérer la pénurie de places pour les étudiants. APB cachait la misère, Parcoursup la met en scène, façon télé-réalité. Et ceux qui plaident en faveur du nouveau dispositif aiment à dire qu’au moins, il n’est pas hypocrite.

 

L’art d’accommoder les restes

Pourtant, il l’est un peu, car non content de gérer manifestement la pénurie de places, il la génère. En effet, sur APB, les élèves recevaient un mail leur indiquant qu’un de leurs vœux était satisfait. Sur Parcoursup, l’élève performant peut tout à fait voir tous ses vœux satisfaits. Le système fonctionne donc selon un principe d’accaparement des places, de capitalisation des orientations par certains élèves, désignés comme les meilleurs. Les autres s’accommoderont des restes. Après tout, ils ont l’habitude.

 

On est donc passé de l’ère de la proposition à celle du refus. Le 22 mai, à 18h, les élèves se sont connectés, non pas pour découvrir quelle école leur propose de les accueillir, mais pour compter le nombre d’écoles qui leur disent « non ». Maintenant, ils doivent attendre d’être contactés, à la faveur du désistement d’un autre candidat, plus performant, qui aura trouvé mieux ailleurs.

Jouer les remplaçants

On voit bien la logique qui est à l’œuvre derrière cette machine: aux meilleurs, les meilleures places. Ce n’est pas nouveau. APB, et ses prédécesseurs fonctionnaient déjà ainsi. Mais sur Parcoursup, on inaugure une nouvelle règle: aux meilleurs, toutes les places. Méritocratie, ou jackpot? En fait, tout dépend du mérite réel qu’il y a à être le meilleur. Après tout, un niveau modeste peut demander à certains beaucoup d’efforts tant ils partent de loin, tandis que d’autres parviennent aux plus hautes performances sans vraiment suer sang et eau parce que tout autour d’eux concourt et participe à cet excellent résultat. De fait, Parcoursup donne beaucoup à ceux qui ont déjà beaucoup, et le dispositif le fait d’autant plus librement que les algorithmes qu’il respecte sont particulièrement opaques, le décret d’application ayant autorisé les établissements à ne pas les dévoiler. Ainsi, les élèves ne savent pas pourquoi ils ne sont pas choisis. Résultat: sur deux universités, pour la même formation, le classement d’un même élève est totalement différent.

Le 22 mai, la plupart des élèves du lycée Guy de Maupassant, à Colombes – un de ces lycées d’une de ces banlieues pour lesquelles il n’y aura pas de plan particulier, apprenait-on le même jour – ont découvert que les écoles leur disaient « non », et qu’au mieux, elles leur promettaient que, si de meilleurs élèves qu’eux se désistaient, on leur proposerait alors leur place. La plupart? En moyenne, dans chaque classe, 5 élèves ont une proposition, 4 sont d’emblée sortis du dispositif et 25 sont en liste d’attente, attendant qu’une place se libère. On est loin de la moyenne nationale. Mieux: une élève bénéficiant de la convention Science-Po est en liste d’attente sur tous ses vœux. Parcoursup désigne ces élèves des milieux populaires comme remplaçants.

De quoi la liste d’attente est-elle le « non »?

Les élèves qui n’ont fait aucun vœu en L1 et dont tous les vœux sont repoussés, n’ont plus aucun espoir. Ils reçoivent ce message: « Vous avez postulé uniquement dans des filières sélectives, les formations que vous avez demandées n’ont pas pu répondre positivement à vos demandes. Vous ne recevrez donc pas de proposition d’admission pendant la phase principale de Parcoursup« . Traduisons: comme vous n’êtes pris nulle part, nous espérons que vous comprenez que vous auriez dû faire des vœux en licence, car si vous l’aviez fait, c’est à l’université qu’on vous aurait affecté.

Rappelons-nous: contre quoi était censé lutter Parcoursup? L’absentéisme et l’abandon des études en première année de licence. Que propose Parcoursup finalement? De remplir des licences non désirées avec des étudiants non motivés qui auront tendance à abandonner ce cursus dès les premiers mois. Comment mieux produire ce qu’on prétendait combattre?

Parcoursup entérine le fait que la France ne veut pas offrir à ses jeunes les plus fragiles une formation digne de ce nom au-delà du lycée. On leur aura donc menti pendant toute leur scolarité. A ce jour, la moitié des candidats au baccalauréat n’ont aucune proposition pour la rentrée de septembre. On sait où, socialement, se situe cette moitié. On devine aussi combien cette situation les fragilise à un mois d’un examen qui est désormais, pour eux, crucial et absurde à la fois. Qui, davantage que les jeunes, s’agirait-il de mettre en marche, comme on dit? Qui est-il plus insensé de laisser en marge? Est-ce bien cela, « notre projet »?

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